Après un premier éditorial consacré à Lightning Returns, ce deuxième rendez-vous s’intéresse aux définitions contradictoires de Final Fantasy qui peuvent exister au sein même de Square Enix. N’hésitez pas à me contacter une fois encore si vous avez des questions ou des réactions.
Lors du dernier E3 de Square Enix, rien de bien excitant n’est venu du Japon. Rien, sauf l’aperçu de technologies d’avenir. L’éditeur présentait en effet une démonstration technologique inédite et impressionnante à plus d’un titre : Agni’s Philosophy, sous-titrée Final Fantasy Realtime Tech Demo. Conçue à partir du moteur Luminous actuellement en développement dans un studio interne de Square Enix, cette vidéo scénarisée démontre que les graphismes en temps réel atteindront dans les prochaines années le niveau des images de synthèse précalculées d’aujourd’hui.
Même s’il ne s’agit pas d’un jeu, les créateurs ont réussi là un joli coup, si bien qu’ils n’ont pas hésité à le montrer régulièrement dans les mois suivants : les visiteurs de Japan Expo, notamment, ont pu la visionner lors d’une présentation avec Julien Merceron, directeur des technologies de Square Enix. Publiée sur YouTube, la vidéo a dépassé les 2,5 millions de vues.
Bien que la technologie mise en œuvre pour la création de cette démonstration ne risque pas de se concrétiser sous la forme d’un jeu dans l’immédiat, comme l’admettent eux-mêmes ses concepteurs, il y a dans cette vidéo plusieurs choses simplement prometteuses. La première, la plus basique, est que Square Enix ne renonce pas devant le défi technologique. Après une génération un peu poussive, due en partie à un moteur Crystal Tools (FFXIII) à la gestation tardive, il est heureux de constater que la prochaine ne décourage pas l’éditeur. Il prend là d’ailleurs nettement les devants.
La deuxième est que, suite au rachat d’Eidos, le groupe Square Enix semble vouloir plus que jamais créer une vraie collaboration entre le Japon et l’Occident : un tiers des ingénieurs au travail sur le moteur Luminous est ainsi d’origine occidentale. De plus, pour assurer le style visuel de la vidéo, les concepteurs ont fait appel à des artistes autant de la maison-mère japonaise (notamment Isamu Kamikokuryô, directeur artistique de FFXIII) que des studios d’Eidos (comme Brian Horton, directeur artistique lui du nouveau Tomb Raider). Cela donne lieu à un univers aux inspirations multiples.
La troisième chose prometteuse, précisément, est que la performance technique n’est jamais détachée de l’ambition artistique. Même pour démontrer les immenses avancées technologiques qui nous attendent, Square Enix a tenu à mettre ses meilleurs artistes à contribution, si bien qu’ils profitent de cette occasion pour créer un monde inédit. Cela différencie Agni’s Philosophy des précédentes démos technologiques de la société, qui s’inspiraient toujours de jeux existants. Personne n’a oublié la démo de FFVII sur PS3, démo qui continue de hanter Square Enix sept ans plus tard tant certains y ont vu l’annonce implicite d’un remake HD du jeu. Autant dire qu’en créant une démo à partir de rien comme c’est le cas aujourd’hui, le risque d’encourager de pénibles lubies est bien moindre.
Au contraire, nous sommes bien là dans ce qui constitue la force de la série. Avec cette décision de créer un contexte inédit et qui plus est de l’inscrire dans l’univers Final Fantasy par le biais d’un sous-titre sans équivoque, les membres du studio Luminous ont pu participer à leur manière à la réflexion qui nous taraude tous un peu : qu’est-ce que Final Fantasy ? Le directeur technique Yoshihisa Hashimoto l’expliquait dans une interview : « Notre thématique était de faire une démo de Final Fantasy. […] Nous voulions avant tout partager notre idée de ce que cela représente ».
Si Agni’s Philosophy est aussi surprenant, c’est bien parce que la série est basée sur le changement et la surprise. Hashimoto a voulu réduire autant que possible les éléments traditionnels de Final Fantasy afin de représenter un univers inédit mais avec des touches familières : on voit bien un cristal, une potion, un dragon… Mais ce ne sont que des détails perdus dans une histoire nouvelle, comme des références discrètes et adaptables qu’on peut s’amuser à retrouver.
Comme avec chaque nouveau Final Fantasy, c’est l’inédit qui est le plus excitant. En cela, Agni’s Philosophy est avant tout ce que j’oserais appeler une « promesse d’imagination », tout particulièrement dans ses scènes d’ouverture et de clôture : des paysages immenses à la beauté saisissante et qui démontrent une fantasy aux inspirations variées. Cette fantasy est d’ailleurs rattrapée par la modernité comme c’est le cas dans presque tous les épisodes depuis le VI. Car ce n’est pas la première fois que nous pouvons voir des fusils ou des camions, ou même des influences proche-orientales (FFXII en reste le meilleur exemple). Pourtant, c’est toujours une surprise, car nous savons que c’est un univers complètement neuf à découvrir. Et il serait bête de craindre autant l’incertitude. Bien sûr, cette démo ne donnera naissance à aucun jeu, mais son postulat a bien le courage d’un Final Fantasy.
La réflexion à l’origine de l’univers visible dans Agni’s Philosophy semble en contradiction totale avec le Final Fantasy XIV de Naoki Yoshida, dont la sortie est attendue pour l’année prochaine. Là où un nouveauFinal Fantasy devrait être une découverte totale saupoudrée de quelques éléments familiers mais pas obligatoires, Yoshida a exprimé son désir de transformer FFXIV en une sorte de parc d’attractions des précédents épisodes, soit une avalanche de références, comme pour appâter les fans avec ce qu’ils connaissent bien. Cette démarche a fait le succès d’épisodes parallèles tels que les Dissidia, précisément car ils ne sont pas là pour inventer mais pour célébrer.
Bien sûr, les circonstances sont différentes dans le cas de FFXIV. Après l’échec de la première version, on peut comprendre que Square Enix aille au plus facile pour assurer enfin le succès du jeu. Mais à travers ses différentes interviews, Naoki Yoshida a démontré une vision de la série principale qui est superficielle, presque dangereuse.
Lors d’une de ses présentations de la version A Realm Reborn à venir, il a même défini « l’essence de Final Fantasy » qu’il insufflera dans le XIV avec trois exemples : la tour de Cristal (FFIII), les armures magitech (FFVI) et le Gold Saucer (FFVII). A d’autres moments, il promettait de reprendre des éléments de FFXII et XIII, pas juste des plus anciens. Mais tout cela, ce n’est pas de la création, uniquement de la reproduction. Copier-coller des éléments d’anciens épisodes en les adaptant à peine, comme si créer un patchwork de gloires passées suffisait à produire un jeu à succès, c’est réellement se méprendre sur « l’essence » des épisodes numérotés. Les clins d’œil sont toujours bienvenus, mais Yoshida communique sur cet aspect de manière si insistante qu’il en vient à oublier la véritable nouveauté ; celle que d’autres équipes prennent autant de plaisir à partager avant la sortie de leurs épisodes. Quoi qu’on pense du jeu, c’était le cas de FFXIII.
Tel qu’il nous est présenté, l’univers de ce nouveau FFXIV n’a aucune ambition, aucune prétention, même si Yoshida est manifestement enthousiaste d’être aux commandes de son Final Fantasy. Attendons maintenant de pouvoir enfin s’y plonger pour le juger catégoriquement.
C’est vrai, aucune définition de Final Fantasy n’est absolue, mais cette série a 25 ans de réinvention à son actif. C’est bien pour cela que je suis bien plus attiré par l’aspect transgressif de la démo Agni’s Philosophy que par l’esprit conciliant qui composera FFXIV: A Realm Reborn. Après tout, les éléments familiers importent finalement peu, le plus important reste que le poids de la série encourage les développeurs à tout faire pour concrétiser au mieux leurs ambitions. A nous d’y être réceptif.