Dans le cadre du Tokyo Game Show, le magazine japonais Famitsu organisait cette nuit une discussion entre Hironobu Sakaguchi et Naoki Yoshida au cours d’un programme nommé « The Appeal and Potential of RPG » (les atouts et le potentiel des jeux de rôle). L’objectif n’était pas de proposer de nouvelles annonces sur des jeux en cours de production – à commencer par un certain Final Fantasy XVI –, même si de petits détails intéressants n’ont pas manqué d’être mentionnés. Vous pouvez retrouver la vidéo complète au pied de cet article, mais voici un résumé des informations notables.
C’est la première fois que Hironobu Sakaguchi et Naoki Yoshida discutent ainsi en public, même s’ils ont déjà eu l’occasion de se voir en privé par le passé. Leur première rencontre remonte à l’époque du lancement de la version reconstruite de FFXIV, en 2013, Yoshida affirmant avoir voulu attendre que le jeu soit suffisamment abouti avant d’oser se présenter devant le créateur de la série. En retour, Sakaguchi se remémore une discussion pendant laquelle Yoshida lui a demandé quelle était la bonne direction à choisir pour son FF, ce à quoi il a modestement répondu : « C’est ton jeu, alors tu peux en faire ce que tu veux ».
Animée par le journaliste Katsuhiko Hayashi, le dialogue a commencé par un échange d’avis sur leurs titres respectifs. À propos de Fantasian, le nouveau jeu de Mistwalker sorti cette année sur la plateforme Apple Arcade, Yoshida s’est avant tout attardé sur le choix étonnant de représenter les décors sous la forme de dioramas et sur les contraintes spécifiques que cela a eu sur le développement. L’objectif de ce choix était de proposer des graphismes réalistes d’une manière différente des simples images créées par ordinateur, et il se trouve que Sakaguchi a toujours été intéressé par les dioramas. Ceci a donc mené à cela.
Mais, de fait, il confirme que le scénario et la mise en scène ont souvent été adaptés en fonction des décors, car les fabricants des dioramas pouvaient parfois s’éloigner un peu trop des illustrations conceptuelles fournies par les développeurs, ce qui bouleversait leurs plans. Cela est donc moins malléable que des graphismes en 3D qui, même s’ils mettent plus de temps à être produits, peuvent être ajustés à répétition par la suite. Aussi, comme cet aspect est l’atout premier de Fantasian, les développeurs ont dû inventer des systèmes de jeu spécifiques. C’est par exemple le cas du système de Dimengeon (permettant de placer les ennemis du terrain en réserve pour les affronter tous en une seule fois), qui laisse au joueur l’occasion d’apprécier l’exploration des dioramas sans se sentir entravé par les combats aléatoires réguliers.
Sakaguchi, quant à lui, avoue n’avoir pas eu le temps de se lancer dans FFXIV par le passé… Mais, sans doute afin de ne pas arriver dans cette discussion sans rien avoir à dire, il s’y est enfin mis il y a quelques jours, comme ont pu le constater ses abonnés sur Twitter ! Il a d’ailleurs pu compter sur un mentor de qualité, puisque Yasumi Matsuno en personne l’a pris sous son aile, notamment en l’accompagnant dans la configuration du jeu, puis dans ses premiers donjons. Lors de la discussion, Sakaguchi n’a pas caché pas son grand enthousiasme pour son expérience dans le MMORPG, en particulier depuis qu’il a pu déverrouiller son propre chocobo. Une sensation qui n’est pas sans lui rappeler le choc qu’il avait vécu en découvrant Everquest il y a plus de vingt ans – ce qui l’avait poussé à lancer le chantier de FFXI, le premier MMORPG de la série.
En réponse, Yoshida s’est dit heureux de voir deux des créateurs qu’il admire le plus faire ainsi équipe dans son jeu. Et, quand Sakaguchi note la présence de nombreux éléments des différents Final Fantasy, Yoshida se justifie une nouvelle fois en décrivant FFXIV comme un « parc d’attractions » de la série. Comme chaque joueur a un FF préféré différent, son objectif était de les réunir dans un même jeu pour susciter des discussions passionnées entre les fans d’un même épisode, mais aussi de pousser les autres à s’intéresser aux numéros qu’ils connaissent moins bien.
FFXVI, compte rendu de situation
Même si l’objectif n’est pas d’aborder les titres en cours de développement, Katsuhiko Hayashi ne s’est pas privé de demander à Sakaguchi s’il avait déjà un avis sur ce qu’il a vu de Final Fantasy XVI. Notant que la direction choisie semble être celle d’une fantasy sérieuse et sans concessions, il a dit espérer que les sentiments humains y seront donc exposés de manière approfondie, non sans ajouter que c’est une donnée toujours difficile à concrétiser.
Sur le ton de la blague, Sakaguchi a ensuite demandé à Yoshida s’il pouvait participer à l’écriture du scénario, de la même manière que Yoko Taro l’avait fait en juillet dernier. Le sujet étant posé sur la table, Yoshida a donné une fois encore une poignée de nouvelles du projet dont il est le producteur. Il a ainsi confirmé que le scénario principal est fini, que la conception des dernières quêtes secondaires touche bientôt à son terme et que les modèles des personnages sont terminés. Désormais, les développeurs se consacrent à l’amélioration de la qualité globale du jeu.
Bien décidé à grappiller quelques détails, Sakaguchi a ensuite demandé depuis combien de temps le projet FFXVI est en gestation, ce à quoi Yoshida a répondu qu’il lui est impossible de communiquer ce type d’informations – sauf à s’attirer les foudres de Square Enix. En revanche, il a précisé que le projet a commencé il y a longtemps (en l’état de nos connaissances, sans doute entre 2015 et 2016) avec une toute petite équipe de développeurs, car l’objectif était de ne pas lancer la production intensive avant que la base du jeu soit totalement consolidée. Notamment, le scénario a été déterminé en tout premier, car tout changement tardif sur ce point coûte beaucoup d’argent. Le titre a donc connu une longue étape de tâtonnement.
Lorsque Yoshida a ensuite proposé à Sakaguchi d’écrire une simple quête dans FFXIV plutôt que dans FFXVI, l’intéressé a poliment refusé en soulignant que, comme Yasumi Matsuno avait déjà participé au MMORPG avant lui (dans les séries de quêtes d’Ivalice et de Garde-la-Reine), il lui serait impossible de se hisser à son niveau. De fait, tous deux partagent une même admiration pour Matsuno, créateur de FF Tactics et FFXII. Toujours déterminé à s’inviter dans FFXIV, Sakaguchi a proposé un peu après à Yoshida de créer des tenues pour les personnages, un domaine dans lequel il sait qu’il ne sera pas mis en concurrence avec Matsuno. À voir si cela se fera…
Les atouts des jeux de rôle
La discussion s’est ensuite dirigée vers la question des atouts des RPG. Pour Hironobu Sakaguchi, l’attrait principal de ce genre vient de la possibilité d’inventer des univers et des personnages totalement inédits, sans se soucier des règles du réel. Tout petit déjà, il aimait laisser libre cours à son imagination, ce qu’il a réussi à canaliser dès ses tout premiers jeux vidéo d’aventure pour PC, au cours des années 80. Puis est venu Final Fantasy, en 1987…
Cependant, Sakaguchi a ensuite souligné un autre point qui lui semble crucial : le travail d’équipe. Exprimant sa reconnaissance envers les développeurs qui l’accompagnent dans ses projets – comme il l’avait déjà fait plusieurs fois par le passé, notamment pendant la création de The Last Story –, il a insisté sur la capacité de ses collègues à le surprendre avec leurs idées. Pour lui, on peut ressentir toute leur passion dans le produit fini. Mais il faut aussi dire que Sakaguchi est connu pour son talent unique pour motiver ses équipes – un héritage dont on parlait encore dans les murs de Square Enix plusieurs années après son départ, d’après Yoshida.
Ce dernier, de son côté, a insisté sur la place de l’histoire. S’il est venu tardivement aux RPG, après avoir travaillé sur des jeux d’action ou de tir, il a joué à Final Fantasy et Dragon Quest dès sa jeunesse et était également un lecteur d’œuvres de fantasy, comme Le Seigneur des Anneaux. De son propre aveu, cela faisait de lui un enfant un peu différent des autres. C’est en constatant que le jeu vidéo permettait une telle expressivité qu’il a décidé de faire ses débuts dans l’industrie, car les RPG donnent la possibilité de construire un monde très détaillé dans lequel le joueur peut s’immerger totalement – ce qui n’est pas le cas dans les films, par exemple, précise-t-il.
Pour Katsuhiko Hayashi, l’une des qualités premières des RPG vient du sentiment de progression du joueur lorsqu’il incarne son personnage. Saisissant cette remarque au vol, Sakaguchi explique avoir adoré le moment dans Fantasian où l’arbre des compétences est déverrouillé, car cela donne instantanément le sentiment que le potentiel du jeu s’élargit, ce qui est très grisant. En réponse, Yoshida a glissé qu’un tel système d’arbre de compétences existera aussi dans FFXVI, ce à quoi Sakaguchi a réagi en se réjouissant d’avoir réussi à lui arracher une information inédite.
Revenant ensuite à FFXIV, Sakaguchi a indiqué qu’un autre sentiment plaisant de cet épisode est celui d’être considéré comme un Guerrier de la Lumière, un authentique élu dont la force dépasse celle du commun des mortels. Yoshida a répondu en indiquant qu’il avait appris cette méthode de narration en jouant aux titres de Sakaguchi, ce qui se retrouve par exemple dans une scène de FFXIV où le héros embarque à bord d’un aéronef et que les personnages non jouables qui l’ont accompagné sont présents pour lui dire au revoir. Un ajout simple, mais qui permet de valoriser efficacement le joueur. En conclusion de cette thématique, Yoshida a redit toute l’importance qu’il apporte à l’histoire : celle-ci reste selon lui la qualité principale des RPG, que ce soit dans un titre à jouer en solitaire ou dans un MMORPG.
L’avenir des jeux de rôle
Quant à savoir la forme que prendra le genre RPG dans les années à venir, Hironobu Sakaguchi s’est déclaré intéressé par les possibilités offertes par l’entremêlement du réel et du virtuel, par exemple grâce aux lunettes de réalité augmentée. Par exemple, dit-il, il serait amusant de pouvoir se promener aux côtés de sa mascotte de FFXIV. Tout en précisant que Square Enix fait des recherches sur de telles techniques, Naoki Yoshida a ajouté que, selon lui, l’un des principaux problèmes du RPG actuellement vient de la difficulté de la conception des graphismes. Il s’agit en effet d’un genre extrêmement gourmand en moyens techniques, et les joueurs de Final Fantasy s’attendent toujours à ce qu’un certain degré de qualité soit préservé.
Toute la question est donc de savoir quels sont les aspects qui peuvent être placés en retrait et lesquels sont absolument indispensables pour assurer la satisfaction du public, ce qui signifie qu’il faut établir un bon compromis. Trouver comment concilier la profusion des visuels et la densité de l’expérience restera donc un dilemme crucial à l’avenir. À n’en pas douter, nous pourrons vérifier dans FFXVI comment l’équipe de développement a essayé de le résoudre.
Vous pouvez regarder l’intégralité de la vidéo ci-dessous, dans une version disposant d’une traduction simultanée en anglais. Mais, le rythme de la discussion étant malheureusement assez soutenu, l’interprète n’est pas toujours très limpide.