« Inclut la démo jouable exclusive de Final Fantasy XV ». Même lorsqu’on se réjouit de la sortie de Final Fantasy Type-0 HD au-delà des frontières du Japon, il est difficile de ne pas contempler avec enthousiasme cette mention quasi irréelle. Square Enix a voulu nous prouver que ce jeu attendu de très longue date, depuis 2006 et sous le nom de Final Fantasy Versus XIII, existe bel et bien.
Mieux, il s’agit d’une invitation à découvrir l’orientation prise par les développeurs et à donner son avis pour les aider à améliorer le jeu d’ici à la sortie. Une sortie qu’il ne faut pas attendre avant la seconde moitié de 2016, au mieux. Cet exercice est donc une grande première pour Square Enix, si bien que ce qu’on entend habituellement par « démo jouable » semble finalement inadapté. Il ne s’agit pas d’un extrait du jeu définitif qui serait mis à disposition de tout le monde quelques semaines avant la commercialisation. Ainsi l’éditeur a donné à cet objet indéfinissable un petit nom : Final Fantasy XV Episode Duscae. Et il est évident qu’avoir enfin la chance de toucher ne serait-ce qu’à un fragment provisoire du futur épisode est un grand plaisir. Mais cet essai connaît pour autant quelques limites qui peuvent lui être plus préjudiciables que bénéfiques si l’on ne comprend pas bien à quoi on a affaire.
Naturellement, Episode Duscae est la culmination d’une démarche de Square Enix qui, depuis quelques mois, vise à imposer Final Fantasy XV dans l’actualité afin de faire oublier les trop nombreuses années où rien ne semblait avancer. En cela, on peut saluer l’idée de montrer que le jeu est bien jouable et d’illustrer la direction qu’il va emprunter. Et s’il est vrai que la tension peut enfin retomber maintenant qu’on a pu mettre des sensations concrètes sur ces belles images, cette première démonstration n’en reste pas moins très précoce, au risque de présenter les particularités du jeu futur sous une forme tronquée. Toucher pour la première fois à un nouveau Final Fantasy est toujours un moment unique, alors il est naturel de regretter que cela ne se fasse pas dans les meilleures conditions possibles.
Square Enix a longtemps laissé planer le doute sur la date de disponibilité de FFXV Episode Duscae, si bien qu’on a pu pendant un temps s’attendre à devoir patienter quelques semaines voire mois après la sortie de Final Fantasy Type-0 HD avant de pouvoir le télécharger. Mais voilà, en voulant se caler exactement sur le jour de sortie de ce dernier, l’éditeur a manifestement mis les développeurs au pied du mur, et ceux-ci ont dû faire des concessions suffisamment notables pour que ça en devienne gênant : performances techniques en demi-teinte (sur Xbox One notamment), taille de la région à explorer réduite, possibilité de conduire la voiture retirée, magie indisponible, monstres les plus massifs hors d’accès, cuisine simplifiée… C’est vrai, la démo propose tout de même une quête simple et bien ficelée, capable de durer de 3 à 4 heures. Mais je m’étonne que les développeurs n’aient pas pris soin d’afficher au tout début un avertissement appuyé sur le caractère inachevé de l’expérience de jeu.
Au cœur de cette impression : le système de combat, encore bien incomplet. On peut néanmoins sentir que c’est sur ce point que Square Enix est le plus à l’écoute. Et malgré tout, force est de constater que Hajime Tabata n’avait pas menti : la prise en main est facile, particulièrement grâce à la touche unique qu’il suffit de maintenir pour créer un enchaînement d’attaques de base. Pas question de simplification à l’extrême, puisque tout repose sur l’environnement de combat, l’emplacement des différents ennemis et la configuration au préalable des armes apparaissant à chaque étape de l’enchaînement. Seulement voilà, le peu d’autres options disponible pour le moment fait qu’on ne sait pas trop comment agrémenter ces combos. Il y a bien quelques compétences d’armes utiles, à condition de réussir à les placer correctement, et les assauts éclipse très pratiques pour rattraper les cibles fuyantes, mais pas encore de magies et de rares interactions avec les autres personnages.
Du fait de l’absence de didacticiel avancé, il est difficile de savoir comment entrer dans les manipulations les plus complexes, notamment une fois les fameuses armes fantômes acquises. Cela n’enlève rien au fait que l’effet de ces dernières est spectaculaire, et évoque immédiatement les vieux rêves des bandes-annonces de Final Fantasy Versus XIII. Noctis devient proprement surhumain, l’assaut éclipse se transformant par exemple en charge aérienne impressionnante. Pendant toute la durée de présence des armes fantômes, le personnage esquive qui plus est automatiquement les attaques ennemies. Un moment de grâce appréciable car, le reste du temps, l’esquive souffre d’une absence de réactivité qui semble en décalage avec le rythme soutenu des batailles, et empêche régulièrement d’éviter des attaques que l’on voyait pourtant venir. Mais malgré ces réserves, les combats de FFXV s’annoncent tout à fait plaisants et, surtout, bien mieux intégrés dans la continuité de l’exploration que toute autre alternative à base de rencontres aléatoires.
Et les petites frustrations prennent fin le temps de la fameuse invocation à notre disposition : Ramuh. Si on peut regretter sa méthode d’obtention assez sommaire (sans doute est-elle temporaire), il est évident que l’équipe de développement a parfaitement élaboré chaque étape de son utilisation. Noctis peut faire appel à cet être astral lorsque ses PV tombent à zéro. L’environnement se nappe alors d’une brume électrique et le jeu nous invite à maintenir longuement une touche pour procéder à l’invocation. Pendant quelques secondes, alors que le prince se tient, hagard, au milieu des ennemis qui continuent à mener l’assaut, on mesure toute la gravité de cette décision. Puis la foudre frappe, la musique de Yôko Shimomura se fait dramatique, le vieillard gigantesque surgit et se saisit du héros, s’élève au-dessus de la zone entière et… pulvérise littéralement le sol de son sceptre crépitant. Quelques secondes plus tard, au milieu d’un paysage apocalyptique couvert de braises, on comprend qu’on vient de goûter à la promesse de moments d’anthologie.
En espérant que le scénario réserve lui aussi son lot de surprises, mais Episode Duscae a volontairement été dépouillé de tout élément pouvant représenter un spoiler. Tout juste y a-t-il une fin bonus, agrémentée de très belles illustrations et de quelques dialogues annonçant la gravité de l’histoire du jeu complet. Malgré tout, cette version de démonstration donne un aperçu de la scénarisation des quêtes, dans un style rappelant volontiers les jeux occidentaux et leurs « objectifs mis à jour », avec la possibilité de placer ou non les marqueurs de quête sur la carte. La traque du béhémoth propose une séquence d’infiltration suffisamment courte et facile à mener pour ne pas rompre la dynamique de jeu avec des manipulations trop frustrantes. Le donjon que l’on peut explorer plus tard est certes linéaire, mais ses gobelins qui surgissent du noir total ont de quoi faire sursauter ! Les développeurs ont manifestement mis un point d’honneur à proposer une expérience continue, comme en témoigne l’absence de chargements entre les différents endroits, donnant ainsi lieu à un vrai sentiment de fluidité.
Sentiment qui peut être égratigné par les faiblesses techniques. Le framerate instable est sans doute le plus frustrant, donnant à l’exploration ou aux combats un côté un peu poussif dans les zones les plus ouvertes. Il est d’autant plus frustrant que, visuellement, Final Fantasy XV Episode Duscae est un vrai enchantement, avec un soin exemplaire apporté aux détails, aux couleurs, à l’ambiance. En tant que porte d’entrée dans l’univers du jeu, la région de Duscae inspire immanquablement l’aventure. Pas de voiture ? Qu’à cela ne tienne, on peut courir le long des routes goudronnées, descendre dans la prairie, longer le lac, remonter dans la forêt, gravir un promontoire rocheux, découvrir le relais de Wiz et ses chocobos… Le passage du temps, du jour à la nuit, jouit de la qualité exceptionnelle de l’éclairage et des effets atmosphériques. On reste volontiers quelques instants à admirer le coucher de soleil au-dessus des étonnants disques de pierre qui caractérisent le paysage. Et dans sa quête de réalisme, FFXV propose une nuit inhabituellement noire pour un jeu vidéo. Alors que les héros n’avancent qu’à la lumière de leurs lampes de poche, le danger est tout à fait palpable.
D’autant plus qu’il est réel. La nuit, les combats n’ont rien des petites escarmouches de la journée tant les ennemis n’en finissent plus de rejoindre la mêlée. Mieux vaut se rendre en endroit sûr pour camper ou dormir dans une caravane de location, et ainsi engranger ses points d’expérience. L’annonce de cette mécanique et de l’importance du camping dans le rythme de jeu de FFXV a pu être perçue comme un sujet d’inquiétude, mais Episode Duscae révèle en fait un écoulement très naturel des journées. Il est simplement dommage que les quêtes secondaires présentées soient si anecdotiques, car c’est sans doute la place qu’elles auront, avec les mini jeux, qui permettra de juger au mieux la réussite de cette gestion réaliste du cycle jour-nuit : chaque fois que l’on campe, le jeu nous prévient que les quêtes secondaires en cours seront interrompues. Rien de dramatique ici, car il ne s’agit que de trouver un objet près d’un étang, de faire un peu d’exploration pour rencontrer des chocobos noirs, ou encore de combattre un troupeau de garulas. Sans oublier une chasse aux grenouilles, petit animal décidément très à l’honneur dans cet épisode.
Ces quêtes sont le plus souvent signalées à Noctis par ses amis, et Episode Duscae est un bon aperçu de l’ambiance décontractée promise par cette bande de potes. Le soin apporté à leur présence à l’écran est remarquable, autant dans la modélisation et l’animation des personnages que dans leur comportement et dans les différents échanges qu’ils peuvent avoir au fil de l’exploration. Même en continuant à jouer au-delà des trois, quatre heures prévues, on peut continuer à entendre des bouts de discussion inédits. En l’absence de cinématiques liées au scénario, on ne peut réellement s’attarder que sur ces brefs dialogues pour tenter de cerner la personnalité de chacun d’eux : Noctis le prince préoccupé, Ignis le valet pragmatique, Gladiolus le grand frère serein et Prompto le joyeux luron. L’alchimie semble bien fonctionner, mais la mise en contexte manque réellement. La région compte en outre peu de PNJ, mais propose tout de même d’écouter quelques discussions çà et là, notamment une dispute mémorable entre un couple au sujet des restes du repas de la veille.
Il est désormais plus que tentant de s’extraire de l’aire de jeu proposée, délimitée par une ligne bleue tracée directement sur le décor, pour aller découvrir ce que le reste de Final Fantasy XV proposera de fantaisie fondée sur la réalité. À vrai dire, une manipulation non prévue par les développeurs permet de traverser cette limite et de partir explorer la zone de Duscae entourant l’éclat astral. Le jeu inflige un game over si l’on s’éloigne trop, mais le plaisir de la transgression est trop fort, d’autant que cette partie plus aride de la région, derrière les premières arches de pierre, devait manifestement être jouable dans la première version de Episode Duscae. La route du nord-ouest semble conduire vers Lestallum, que l’on peut apercevoir à l’horizon depuis d’autres endroits. S’il n’y a ni ennemis ni activités, on peut tout de même s’aventurer dans l’antre de Titan, dont les graphismes en aplats inachevés et le modèle 3D du géant totalement figé donnent une idée du combat impressionnant qui nous attend là dans la version définitive.
Que de promesses, dans ce Final Fantasy XV Episode Duscae ! Et en fait trop de caractéristiques absentes ou d’éléments encore incomplets pour parvenir à un jugement réel. L’optimisation bâclée ajoute qui plus est un sentiment de précipitation et il est difficile de ne pas penser que, finalement, on aurait pu attendre encore un peu, pour s’assurer un premier contact plus généreux. Car tout ce qu’il y a derrière le voile de « la démo jouable exclusive » promet une aventure enivrante, soignée dans ses moindres détails et à la prise en main naturelle. Tout cela à la condition que les développeurs tiennent leurs engagements et que, bien sûr, ils puisent dans les réactions des joueurs les remarques les plus constructives. Celles qui n’entraveront pas leur vision.