Vous avez certainement lu il y a quelques jours l’annonce de la formation d’un « comité Final Fantasy » au sein de Square Enix, dont le but serait d’en préserver la qualité. Ainsi donc, la série indéfinissable aurait désormais des guides ? Que faut-il en penser ?
La révélation de ce comité aurait pu rester un secret longtemps encore, car en réalité, elle n’était pas l’objet d’un communiqué formel de la part de l’éditeur. Elle trouve en fait son origine au fin fond du mensuel japonais V Jump, dans une interview croisée des producteurs des trois plus grandes séries de RPG japonaises : Hideo Baba (Tales of), Yôsuke Saitô (Dragon Quest) et Shinji Hashimoto (Final Fantasy). Ils ont notamment discuté de l’état actuel du genre RPG au Japon et de son avenir, et ont plaisanté sur la possibilité d’une collaboration entre les trois grands titres.
Tales of Xillia 2, Dragon Quest X et Final Fantasy XIV
Mais au hasard de leur discussion, les trois producteurs ont tenté de définir ce qui faisait la particularité de leurs séries respectives. C’est à ce moment-là que Shinji Hashimoto, taquiné par son collègue Saitô, a révélé l’existence de ce fameux « comité Final Fantasy ». Ci-dessous, vous trouverez une traduction du passage de l’entretien en question.
Baba : Ce qui fait Tales of, ce sont les thèmes que son histoire aborde ainsi que son système de combat. A chaque fois, on s’efforce d’envoyer un message. Ensuite, on voit ce que peut endurer le personnage principal dans son aventure. Le but est que le joueur ressente de l’empathie et qu’il soit ému à la fin du jeu.
Saitô : Je vois. Pour ce qui est de l’histoire, Dragon Quest est plutôt dans la justice poétique, facile à comprendre.
Baba : C’est là leur différence. Dans Tales of, on montre aussi comment les méchants en sont arrivés là.
Saitô : Personnellement, j’aime bien cette idée. D’ailleurs, comment est-ce dans Final Fantasy ? Je pose la question en tant que collègue. (rires)
Hashimoto : Nos services sont pourtant voisins ! Je dirais qu’il s’agit pour tout le personnel de développement d’interpréter à sa façon la série FF que M. Sakaguchi nous a transmise, et de créer de nouvelles choses à partir de ça.
Saitô : Il paraît qu’il y a un « comité Final Fantasy ».
Baba : Vraiment ? On dirait un nom d’organisation secrète. (rires)
Hashimoto : Oui, un comité dont les membres illustres sont les producteurs des FF récents : Naoki Yoshida, Hajime Tabata, Motomu Toriyama, Yoshinori Kitase, entre autres. Il a pour vocation de sauvegarder la qualité de la série Final Fantasy.
Baba : Tetsuya Nomura n’en est pas ?
Hashimoto : Oh, lui est dans un autre espace-temps. (rires)
(Merci à Denys pour la traduction)
Malheureusement, Shinji Hashimoto n’a pas élaboré sur les fonctions concrètes de ce comité. Dans le meilleur des cas, on peut imaginer qu’il s’agit pour les acteurs des Final Fantasy actuels de se concerter lors de la conception de leurs projets respectifs, dans le but d’échanger des avis et idées sur la direction empruntée par chacun. Dans le pire des cas, c’est autour de cette table mystérieuse que les producteurs comploteraient pour attiser l’averse de fan service qui depuis peu nous arrose. A mon grand désespoir, cette deuxième solution pourrait être la plus probable, en tout cas si l’on se réfère à ce que m’expliquait Naoki Yoshida lorsque je l’interviewais à Japan Expo en juillet dernier. Le grand artisan du mauvais fan service assumé prenait alors des airs d’attaché de presse :
Yoshida : Auparavant, les FF numérotés étaient des titres séparés les uns des autres. A partir de maintenant, nos différentes équipes ont décidé de se rapprocher un peu plus des joueurs afin de « connecter » davantage les épisodes numérotés. Nous voulons affirmer l’identité de Final Fantasy. Ce n’est pas ma simple opinion, mais bien celle de la société.
Si tel est le cas, alors cela entre en contradiction avec l’héritage de Hironobu Sakaguchi pourtant mentionné par Shinji Hashimoto. Car s’il y a bien un concept de la série Final Fantasy auquel je tiens par-dessus tout, c’est précisément celui selon lequel ce sont « des titres séparés les uns des autres ». C’est parce que ces jeux partent chacun dans leur propre direction que la série connaît une telle longévité. C’est grâce à cette indépendance entre les différents projets que l’on peut trouver grand plaisir dans un FF ou être déçu par un autre, sans que cela ne soit une fatalité. Vouloir rapprocher ces jeux qui ne se ressemblent pas est un frein au désir de nouveauté que l’on a pu sentir chez un certain nombre de fans ces dernières années. Si c’est en cela que les membres de ce comité comptent préserver la qualité de la série, je pense qu’ils s’égarent.
Final Fantasy XIII, XIV et XV
J’ai vu certains s’étonner, comme Hideo Baba, de l’absence de Tetsuya Nomura autour de cette table.Comment ? La tête pensante du prochain grand épisode n’est pas associée à la discussion ? Mais, fort de mes constatations, je pense qu’il a en réalité tout intérêt à rester dans son propre espace-temps. La santé de notre Final Fantasy XV enfin consolidé en dépend. Les chances qu’il écoute les paroles ensorcelantes de Naoki Yoshida étant proches de zéro, peut-être nous épargnera-t-il les louches de références faciles ou maladroites. Autant Naoki Yoshida est une personnalité très attachante et un excellent chef d’équipe pour FFXIV, autant sa vision simpliste de Final Fantasy fait beaucoup trop appel à la nostalgie pour produire la fraîcheur dont nous aurions réellement besoin en ce moment. La force inhérente de son jeu, heureusement, permet de fermer les yeux sur ces errements.
Il faut juste espérer que cela reste dans les limites du raisonnable et que ces « collaborations » dont les Japonais sont si friands ne finissent pas par étouffer la teneur véritable des jeux. Même si j’ai défendu FFXIII avec vigueur, je suis content de savoir que la saga de Lightning prendra fin avec Lightning Returns car il faut savoir passer à autre chose. Voir Lightning utilisée de nouveau dans FFXIV ne peut qu’ajouter à la lassitude de ceux qui n’ont pas apprécié son histoire et qui ont trouvé dans le MMO un autre Final Fantasy à leur goût. La réaction à l’annonce de Japan Expo était donc sans attendre : mais que fait Lightning dans mon jeu ?! Je ne voudrais pas que cela se reproduise à chaque nouvel épisode.
Voilà pourquoi l’existence de ce comité invisible m’inquiète, et non, cela n’a rien à voir avec la présence de Motomu Toriyama le Diable incarné.