Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. Longtemps militant anti-remake de Final Fantasy VII, je me suis honteusement laissé séduire par la réinterprétation moderne très réussie du premier épisode. Même si j’aurais préféré un titre inédit de la part de l’équipe de Yoshinori Kitase, il était difficile de ne pas se réjouir en voyant les créateurs de la série revenir en force après une longue période de flottement, et ainsi démontrer la puissance d’esthétisme et de mise en scène qu’ils sont capables de déployer quand ils disposent d’un socle technique solide. Cette notion salutaire se confirme de manière plus spectaculaire encore dans l’immense Final Fantasy VII Rebirth : plus besoin de se lamenter des tentatives contrariées, nous pouvons enfin parler du fond. Et pourquoi pas oser lui reprocher une générosité incontrôlée ?
Cet article ne contient pas de spoilers précis de FFVII Rebirth, mais cite tout de même quelques passages de chapitres avancés et évoque la fin de l’histoire sans la décrire dans l’antépénultième paragraphe.
Grandiose et un peu cabossé
En s’aventurant dans le vaste monde de Rebirth, la raison pour laquelle le projet de remake ne pouvait se faire qu’en plusieurs jeux saute d’emblée aux yeux. Fort des bases solides posées par Remake, ce deuxième volet en impose sur de nombreux points, et tout particulièrement en termes d’ampleur. Saisissant par son volume et sa richesse, il maintient pendant plus d’une centaine d’heures un rythme de croisière impressionnant en renouvelant constamment l’expérience. Exploration grisante, mises en scène nerveuses, cinématiques magnifiques, combats prenants, propositions de gameplay variées, activités nombreuses… Le plaisir de jouer est permanent, et les rares passages laborieux sont vite balayés. S’il est périlleux ou infertile de s’aventurer sur le terrain du « meilleur FF depuis… », une chose est certaine : nous avons là le plus ludique depuis bien longtemps.
Certes, tout étourdissant qu’il soit, ce déferlement d’idées ne s’est pas fait sans une certaine irrégularité. En pratique, le vrai-faux monde ouvert de Rebirth joue la carte de la prudence, ce qui le rend quelque peu daté et rigide. Il en va ainsi de ses routines prévisibles et répétitives, qui trahissent un remplissage facile à partir de recettes éculées, mais aussi de la lisibilité parfois médiocre des décors, tenant à une surabondance d’objets épars, à des contrastes lumineux déficients ou à un level design confus. Tout aussi regrettable est la patte graphique trop ordinaire des environnements naturels : s’il est certain que Rebirth est très beau, il lui manque un supplément de magie onirique, de fantasy oserait-on dire – ce qui est fort dommage venant de l’équipe qui a signé l’univers visuel flamboyant de FFXIII.
Mais Rebirth sait malgré tout se faire aimer, et s’il est si ludique, c’est aussi parce qu’il s’en dégage un sentiment de joie sincère. Plus truculent encore que Remake, il fourmille de détails réjouissants et de moments légers qui font rire ou sourire, emportant le joueur dans un grand bouillonnement pop. Une exubérance assumée qui a de quoi diviser, mais dans laquelle il est facile de se laisser prendre. Les temps forts de l’aventure du FFVII d’origine sont qui plus est réinventés avec beaucoup de charme, que ce soit dans les perspectives imposantes de Junon ou l’irrésistible spectacle sons et lumières du Gold Saucer. Mais la plus belle réussite est sûrement Cosmo Canyon, transformé en un lieu de pèlerinage touristique raillant ouvertement les courants new age de pacotille et leurs réappropriations individualistes.
Comme un bazar extravagant
Cela ne doit pas nous faire oublier que Rebirth est l’adaptation de ce qui était le « creux » du récit de FFVII. Pour le combler, les développeurs ont intercalé entre les scènes originales une sorte de nouveau jeu, fort d’une pléthore de quêtes et d’activités secondaires inédites… pendant lesquelles l’intrigue n’avance pas. Du fait de leur ton souvent léger, cela donne l’impression de faire un dernier tour de manège avant un désastre certain – un présage qu’illustrent les séquences crépusculaires de Zack. Or, la jointure entre ces deux « jeux » est d’autant plus visible que l’histoire principale raccroche les wagons à travers l’artifice des personnages en cape noire, et que ce qui n’était dans FFVII qu’une anecdote devient ici un fil conducteur poussif. Il ne faudrait pas que l’angle méta de la trilogie retienne les développeurs de mieux articuler les motivations des héros au lieu de les abandonner à un destin déjà écrit.
Face à un tel ensemble, toute la question est de savoir si le trop n’est pas l’ennemi du bien. Plusieurs fois, la générosité de Rebirth se retourne contre lui, dans les enchaînements trop rapides de scènes qui brouillent la tension émotionnelle (dont l’irruption de Palmer dans le duel poignant entre Barret et Dyne), dans les ajouts peu pertinents (comme les interventions de Rochey, qui n’apporte décidément rien à l’intrigue), dans les successions de combats éprouvants (pourquoi fallait-il nous infliger un autre affrontement contre Rufus ?) ou, bien sûr, dans la surcharge de mini-jeux. L’intégration en dent de scie de ces derniers crée des situations frustrantes, comme lorsqu’il s’agit d’assimiler des règles complexes pour une poignée de parties obligatoires seulement. Mieux distillé, le captivant Queen’s Blood tire son épingle du jeu.
En termes de trop, il est indispensable d’évoquer la musique. Suivant l’impulsion lancée par Remake, les créateurs ont à nouveau voulu une bande-son la moins répétitive possible. Nous voici alors devant un mur de plusieurs centaines de morceaux, composés et arrangés par une quarantaine de personnes, toutes très douées certes, mais aux personnalités multiples. Et c’est peu dire que l’ensemble est hétéroclite, ne serait-ce qu’entre les deux têtes d’affiche : Masashi Hamauzu, trônant du haut de son époustouflante partition orchestrale, et Mitsuto Suzuki, qui explore le jazz le plus douillet comme l’électro la plus barrée. Si la plupart des moments mémorables sont mis en musique avec un immense soin, ils le sont dans une diversité telle qu’on croit assister davantage à une série d’événements singuliers qu’à une œuvre cohérente.
La désunion des extrêmes
L’impression de dualité s’exprime enfin dans le grand écart entre les légèretés bouffonnes, si réjouissantes soient-elles, et les ambitions métaphysiques ultimes de l’histoire. Quand, aux dernières heures, le tour de manège prend fin, Rebirth entreprend d’étoffer l’intrigue de FFVII en révélant l’ambitieuse portée du multivers déjà esquissé par Remake. Cela aboutit à la réécriture du drame final, avec pour objectif évident de déjouer les attentes. Que les développeurs aient voulu donner du grain à moudre aux joueurs, soit. Le risque était cependant de trop en faire, et précisément, trop a été fait. La simplicité si nette de l’original se trouve ici noyée dans une construction boursouflée et ambiguë qui m’a semblé dévoyer le propos foudroyant sur l’insensibilité de la mort. Mais je ne veux pas être catégorique : comme il s’agit de la deuxième pièce d’un ensemble, reste à savoir ce que le titre suivant en fera.
Voilà le mystérieux paradoxe de Rebirth. D’une indéniable générosité et d’une grande qualité, le jeu aurait mérité une énergie mieux canalisée afin d’éloigner le sentiment d’être un fourre-tout amassé pour invoquer la richesse originelle de FFVII. De toute évidence heureux d’avoir recouvré les moyens techniques de produire des titres de grande ampleur, les développeurs ont un peu trop chargé le plat en élargissant au maximum le spectre allant du plus loufoque au plus sérieux. En cela, ils ont laissé ce deuxième volet se refermer sur une note ambiguë, sur une impression flottante – et c’est précisément à cause de ce flou qu’il m’a fallu longtemps pour mettre des mots sur mon expérience.
Si je sais pertinemment que la course à la démesure se poursuivra dans le troisième épisode, il me prend de rêver qu’il soit plus précis dans ses choix d’ambiance, car quelques-uns des meilleurs moments de Rebirth viennent des dialogues simples et à cœur ouvert entre les héros. Un titre final pourquoi pas plus intimiste et psychologique, reflet des événements crépusculaires qui nous y attendent – mais cela, sans pour autant sombrer dans la noirceur premier degré asphyxiante de FFXVI, car cette nouvelle saga FFVII possède une fraîcheur bien à elle qui est extrêmement précieuse. Alors loin de moi l’idée de cracher dans la soupe : en définitive, Final Fantasy VII Rebirth est une aventure envoûtante et spectaculaire que l’on parcourt sourire aux lèvres. Un gros bonbon sucré qui comble rapidement, avec un dernier goût doux-amer.