Un nouveau Final Fantasy suscite toujours de grands espoirs, d’autant plus lorsque le délai entre chaque nouvel épisode principal s’est autant espacé. Or, du fait des peines connues par la série depuis un certain temps déjà, il ne s’agit plus uniquement de découvrir une histoire et des personnages nouveaux, mais aussi de constater si les créateurs ont enfin trouvé une formule satisfaisante pour appliquer l’esprit FF dans une production moderne. Avec Final Fantasy XVI, c’est au tour des têtes pensantes de la refonte réussie de FFXIV de montrer si elles ont su trouver la voie.
Avant de commencer ce test, jetons tout de suite à la poubelle les débats infertiles. Oui, FFXVI est un Final Fantasy, comme tous ses prédécesseurs. Ensuite, peu importe que ce soit un RPG ou tout autre genre : de toute façon, personne ne semble s’accorder sur ce que « RPG » veut dire, et la seule chose qui compte, c’est le produit fini. Quant au système de combat, je considère que les batailles au tour par tour produisent un rythme de jeu saccadé qui nuit à l’immersion dans les univers en 3D désormais si détaillés, là où les commandes d’action permettent une expérience plus fluide et agréable.
Le jeu a été testé sur PlayStation 5 à partir d’un code fourni par Square Enix. Cet article commence par un résumé sans aucun spoiler. Ensuite, le texte aborde quelques-unes des thématiques globales et des éléments plus tardifs de l’histoire, sans pour autant révéler de rebondissements majeurs ou de détails précis.
Résumé sans spoilers
Somme d’influences diverses et variées dont la trace est évidente, Final Fantasy XVI est cependant marqué par une différence nette de réalisation entre ses séquences les plus abouties, plutôt convaincantes de par leur écriture et leur exécution visuelle, et ses passages intermédiaires, beaucoup trop mous et laborieux. D’un côté, le jeu propose en effet des moments palpitants et superbement réalisés. C’est notamment le cas des époustouflantes batailles entre Primordiaux, véritables apothéoses de cet épisode (mais le système de combat normal n’est pas en reste !). De l’autre, il n’est jamais mauvais, mais simplement ennuyeux, alourdi par des dialogues inutilement lents et un ton sérieux sans nuances. Problème : ce sentiment finit par occuper une grande partie de l’aventure, en particulier lors des quêtes secondaires, qui sont pour beaucoup insipides. On navigue ainsi dans un titre certes soigné, mais déséquilibré, peinant à trouver le bon rythme et à offrir autre chose qu’une noirceur premier degré assez étouffante.
Tout pour les grands moments
Il n’aura échappé à personne que Final Fantasy XVI est la somme des influences de ses créateurs. Celles-ci sont en partie endogènes, puisqu’on y retrouve les dimensions mythologiques traditionnelles de FF et l’amour pour l’univers sous-jacent qui a déjà ravi les joueurs de FFXII ou FFXIV, jeux dont la patte graphique transparaît également de manière évidente. Mais, plus clairement encore, ces influences sont exogènes : la dark fantasy violente du manga Berserk, l’esthétique sérieuse de la série Game of Thrones ou des jeux The Witcher, les combats dantesques des films tokusatsu (le genre dans lequel s’inscrit par exemple Godzilla) et le gameplay immersif des récents God of War.
Explorer de nouveaux horizons est une entreprise évidemment digne de Final Fantasy, et il est certain que les concepteurs de FFXVI ont pris plaisir à proposer une relecture des fondamentaux de la saga à travers un filtre mature et spectaculaire. Leur jeu s’exprime donc avec une sincérité appréciable – mais la sincérité ne peut suffire. Car, quand les sources sont si variées, le risque est d’aboutir à un assemblage bancal, voire raté.
Dans ce bric-à-brac singulier, les influences qui ont été traitées avec le plus grand soin sont celles qui ont nourri les temps forts de l’histoire. Comme l’annonce son puissant prologue et son classement PEGI 18, FFXVI propose un récit sévère, voire choquant. Gros mots, alcool et tabac, sujets graves, complots et trahisons odieuses, morts violentes, un brin de nudité et une ambiance générale de géopolitique belliqueuse : voilà le cocktail qui a motivé tant de comparaisons avec Game of Thrones, et les développeurs ne s’en sont de toute façon pas cachés.
Le réalisme cru de ce seizième épisode donne lieu à des scènes d’un ton nouveau pour FF, et on ne peut que saluer leur réussite esthétique. Lors de ses cinématiques les mieux montées, le jeu a une élégance indéniable. Le risque est alors de privilégier le choc sur le fond, si bien qu’il m’est plusieurs fois arrivé de me demander si l’écriture de cette facette de FFXVI correspond réellement à l’esprit de la série. On est en effet assez loin des symboliques plus poétiques des précédents épisodes, nuance qui avait par exemple encouragé Yasumi Matsuno à insuffler davantage de magie dans son FF Tactics après un Tactics Ogre nettement plus froid. Le choix de FFXVI n’en reste pas moins valable, et comme nous le verrons ensuite, le souci le plus manifeste vient plutôt de la cohérence d’ensemble.
À plus d’un titre, FFXVI a été imaginé comme une série télé, preuve – s’il le fallait encore – que les jeux vidéo de longue durée trouvent dans ce format une filiation bien plus évidente que le cinéma, après un FFXIII qui revendiquait l’influence de Lost et de sa construction en flash-backs. Abandonnant le découpage en chapitres devenu si fréquent, FFXVI est bâti autour d’arc narratifs similaires à un épisode de série, où les enjeux sont exposés, puis développés. Néanmoins, cela se traduit surtout par des coupes régulières dans l’enchaînement des niveaux, au détriment du sentiment de continuité de l’exploration auquel les FF nous avaient habitués jusque-là. Difficile de ne pas se sentir dépossédé d’une partie de l’histoire des personnages, mais après tout, pourquoi pas : par le passé, cela nous aurait peut-être évité de pénibles excursions dans les égouts… Et cela n’empêche en rien FFXVI de subir des longueurs – ici encore, nous en parlerons ci-après.
Fort heureusement, une fois les pions en place, chaque « épisode » culmine dans les véritables apothéoses du jeu, à savoir les batailles surnaturelles entre Primordiaux. Tous plus palpitants les uns que les autres, ces combats d’un genre nouveau sont servis par une mise en scène scénarisée haletante, la viscéralité inouïe des commandes et une pyrotechnie totalement débridée, tant et si bien qu’on sort de chacun d’eux avec le sentiment d’avoir vécu un moment d’exception. Y compris les boss plus conventionnels ont fait l’objet d’un bel effort dans leur réalisation. Sur ce point, et cela s’applique au système de combat dans sa globalité, il est appréciable que les développeurs aient donné tous les moyens d’en profiter sans être un pro des jeux d’action. En termes de contrôles purs, l’expérience est donc des plus plaisantes.
Une vraie réussite visuelle
Quand FFXVI a été dévoilé, en 2020, il ne brillait pas par la qualité de ses graphismes. Il faut dire qu’à l’époque, il était encore prévu sur PlayStation 4 en plus de la PS5. Depuis, l’abandon de l’ancienne console a changé la donne, faisant du jeu un véritable enchantement pour les yeux. Et le plus étonnant, c’est que cela s’est fait à bas bruit, sans étalage ostentatoire de démos technologiques comme ce fut le cas pour FFXV, quand bien même le XVI utilise un moteur maison, spécialement créé pour lui. Le seul manquement concerne la fluidité de l’affichage, victime de légères saccades dans certains décors.
Sans surprise, le résultat le plus impressionnant se retrouve dans les cinématiques principales, pour lesquelles les développeurs ont créé des visuels somptueux, riches d’animations naturelles et d’ambiances saisissantes. Prouesse inouïe, les graphismes en temps réel se mesurent désormais sans mal aux vidéos précalculées, ce qui se constate lors des gros plans sur les visages des personnages principaux, stupéfiants de réalisme. La transition entre les deux méthodes est même transparente, accomplissement des tentatives des épisodes de la première PlayStation.
Recréé avec un souci évident de naturalisme, le monde de Valisthéa n’est pas en reste. Deux points sont particulièrement saillants. Le premier est l’éclairage, qui, tout en visant le photoréalisme, diffuse une lumière à la fois délicate et riche en contrastes – si riche d’ailleurs que les niveaux nocturnes et peu éclairés sont très sombres, pour ne pas dire trop sombres. Le second point est l’extrême minutie avec laquelle les arbres et les plantes ont été reconstitués, ce qui n’est pas étranger au fait que l’équipe de développement comptait dans ses rangs un « directeur de la végétation » ! Quel dommage que les efforts versés dans cette sublime palette de couleurs soient perdus lorsque le monde tout entier prend un tour ténébreux, exemple parfait d’une idée bonne en théorie, mais frustrante en pratique.
Bien sûr, l’appréciation visuelle de FFXVI dépend des affinités de chacun avec la direction artistique médiévale fantastique, qui – en ce qui me concerne – n’a pas le charme plus original des épisodes aux univers modernes voire futuristes, mais cette conflictualité fait désormais partie intégrante de Final Fantasy et il en faut pour tous les goûts. Aussi sobre soit-il, le nouveau jeu arbore de toute façon d’excellents designs pour ses personnages et ses invocations, et il est heureux que les projecteurs soient enfin braqués sur l’immensément talentueux Kazuya Takahashi, qui nous a déjà ravis dans FFXIV.
L’étirement du temps
Là où FFXVI trébuche assurément, c’est dans son incapacité à entretenir ses qualités sur la longueur. Les parties « basses » de l’aventure, qu’il s’agisse des séquences d’exploration plus libres ou des quêtes secondaires, sont grevées par une différence brutale de qualité d’écriture, d’intensité et de mise en scène. Les cinématiques stylées cèdent la place à des dialogues statiques et verbeux de jeu vidéo, qui ne savent pas faire la part entre les informations essentielles et les précisions inutiles. Il est alors tentant de zapper les discussions en lisant rapidement les sous-titres. Sur la route de Rosalith, en direction d’Oriflamme ou dans le désert de Dalméquie : autant de segments qui s’éternisent inutilement à travers un enfilement de quêtes bavardes et ennuyeuses, au-delà de quelques tentatives plus prenantes d’exposition des problèmes de Valisthéa.
La progression se fait si prévisible que Clive lui-même semble s’en agacer quand il se plaint, au détour d’une mission, de passer son temps à chercher des gens disparus… Un sentiment de frustration qu’on partage sans mal, et pour cause : voilà notre héros qui laisse en suspens une intrigue politique tendue afin de résoudre une succession de broutilles. Le summum de l’ennui revient aux quêtes secondaires, qui sont aussi nombreuses que peu intéressantes à cause de leurs dialogues interminables et de leurs objectifs rarement passionnants. Il est certain que le jeu aurait gagné à proposer moins de ces quêtes, mais mieux réalisées.
Plus que jamais, il transparaît dans FFXVI la complexe adéquation des RPG entre l’urgence évidente de sauver le monde et celle, toute relative, d’aller chercher des ingrédients de recette de cuisine ou de récupérer l’un ou l’autre objet perdu. Cette grammaire datée fait peine à voir dans un titre qui, sur d’autres points, parvient à être authentiquement de nouvelle génération.
FFXVI m’inspire toute la difficulté que la série a, depuis une vingtaine d’années, à concilier le désir d’ampleur de son univers avec les capacités techniques de le réaliser. La nécessité de créer des graphismes de pointe impose de nouveaux choix de représentation du monde et de déroulement de l’histoire. Comment partir du plus simple et atteindre les dimensions mythologiques en trente, voire quarante heures ? Le dilemme apparaît plus clairement encore dans ce seizième épisode, où l’accent a été placé sur des temps forts superbement réalisés, qui laissent le reste de l’aventure sur le bas-côté.
Dans le tri des priorités de développement, les petits plaisirs plus abstraits de l’ancienne époque passent à la trappe. Les espoirs d’explorer soi-même Valisthéa dans toutes ses nuances s’estompent peu à peu, et il est difficile de ne pas ressentir un pincement au cœur à l’idée de ne traverser les villes qu’en état de siège – quand on peut les traverser… –, alors que ces passages étaient souvent propices à des scènes plus légères, respirations bienvenues entre deux équipées sauvages. FFXII, pour ne citer que lui, avait très bien trouvé cet équilibre.
Fort pauvre, le level design des grandes régions ne semble quant à lui avoir été conçu qu’autour de la chasse aux monstres d’élite. Ne reste plus alors qu’un remplissage répétitif pour donner un semblant de corps – mais de substance, pas tellement. Une ironie, quand on constate la minutie admirable avec laquelle l’univers de FFXVI a été imaginé. Le tout est de savoir comment l’exposer au mieux.
Un manque d’âme et de nuances
Si FFXVI est si souvent ennuyeux, c’est aussi à cause de son écriture monocorde : le jeu est désespérément premier degré. L’une des plus remarquables réussites de FFXIV est l’habileté avec laquelle ses créateurs sont parvenus à mélanger les tons, du plus dramatique au plus réconfortant, avec même un brin d’humour, y compris dans le crépusculaire Endwalker. Cette qualité s’envole totalement dans ce nouvel épisode, et c’est peu dire qu’au bout d’une quarantaine d’heures de noirceur sérieuse et rigide, on manque d’air ! Rares sont les traits d’esprit mordants et les répliques amusantes, et l’unique personnage un tant soit peu truculent, Byron, ne suffit pas à soulager cette atmosphère étouffante.
En parlant de personnages, il s’agit peut-être du véritable nœud de l’affaire. Unique héros jouable de cette aventure, Clive Rosfield s’avère d’abord intéressant dans sa quête de vengeance, au fur et à mesure que ses certitudes sont ébranlées. Or, une fois ses conflits intérieurs résolus au terme d’une séquence certes fort marquante, il devient statique, pour ne pas dire effacé, y compris alors que le destin lui réserve encore quelques surprises. Après tout, peut-être s’agit-il d’un choix à l’ancienne, permettant au joueur de se projeter en lui, bien que je ne croie guère à cette explication.
Mais alors, que manque-t-il ? Ici encore, la comparaison inévitable avec FFXIV donne une partie de la solution : la présence de personnages secondaires aux tempéraments bien trempés, qui apportent leur grain de sel à l’histoire en compensant le mutisme du Guerrier de la Lumière. Et pas besoin qu’ils soient jouables ! L’exemple FFXV est également parlant, les créateurs ayant réussi à donner l’impression d’un quatuor soudé et vivant.
Or, dans FFXVI, Clive n’est que rarement accompagné par des compagnons capables de lui donner du répondant, et même lorsque c’est le cas, l’alchimie est rarement probante. Interlocuteur omniprésent, il peine à incarner à lui seul l’esprit du titre. Outre le charismatique Cid, seuls quelques membres du repaire (dont Kharonne, Goetz et Blackthorne) s’avèrent attachants, au point de donner lieu à des quêtes touchantes, mais elles ne sont jamais que secondaires.
Sur le sujet des personnages, il est impossible de ne pas relever la place déplorable réservée aux femmes, qui tiennent pour beaucoup du cliché. Outre Annabella la manipulatrice cynique calquée sur Game of Thrones et Benedikta la tentatrice blasée, Jill confine au faire-valoir le plus archaïque dans une série qui avait réussi à créer des héroïnes plus indépendantes. Combien de fois ne me suis-je pas écrié « mais dis quelque chose ! » en la voyant en retrait, silencieuse, pendant que les hommes font la discussion ? Le sommet de l’absurdité est atteint lors d’une scène intimiste où elle veut convaincre Clive qu’il doit penser davantage à lui… avant d’affirmer qu’elle est prête à tout pour l’aider. Ce que, à l’aube du moment fatidique, elle n’est de toute façon pas invitée à faire. C’est ainsi : FFXVI est l’histoire de Clive, et les autres ne se voient accorder que de brefs moments de gloire.
Cette régression est tout juste compensée par une belle avancée, avec l’introduction du premier personnage ouvertement homosexuel de l’histoire de la série. Son traitement tout en naturel et sans insistance outrancière est une jolie surprise, qui – espérons-le – essaimera.
Manquements musicaux
S’il y a bien un point sur lequel Final Fantasy ne déçoit jamais, ou presque, c’est la musique. Il aura fallu attendre seize épisodes pour que le rouage se grippe. Alors que le jeu constitue un important bond en avant technique par rapport à FFXIV, il était de bon ton d’espérer que la bande-son connaisse un pareil traitement, d’autant plus qu’elle compte à sa tête le même compositeur : Masayoshi Soken. Si attachante soit-elle, la partition du MMORPG pêche en effet par son manque de raffinement, dû à des arrangements sommaires et à la rareté des enregistrements avec des instruments réels, conséquence de son calendrier de production intensif.
Malheureusement, point de bond en avant dans FFXVI, qui souffre exactement des mêmes problèmes. Sauf que, désormais accolés à un habillage visuel luxueux, ils apparaissent plus grossiers encore. Il paraît impensable qu’en 2023, un Final Fantasy numéroté propose une bande originale quasi entièrement produite avec des instruments synthétiques quand, depuis une quinzaine d’années, tous les titres majeurs (et même mineurs) de la série ont profité d’enregistrements en studio réguliers, pour un résultat bien plus authentique que toute tentative de restitution par ordinateur.
Quand bien même cela était devenu une habitude depuis FFXIII, pas la moindre trace d’un grand orchestre dans FFXVI, qui ne compte que de rares instruments réels. Un choix d’autant plus absurde qu’il a précisément été demandé à Soken et à son équipe de compositeurs de se cantonner à une approche strictement orchestrale ! Résultat : bon nombre de propositions musicales tombent à plat, noyées dans une navrante pauvreté sonore.
Or, des enregistrements réels auraient-ils sauvé la bande-son de FFXVI ? Peut-être pas. Alors que la palette orchestrale n’est pas la spécialité première de Soken, ce qu’il admet lui-même, il est certain que les paroxysmes de l’histoire se font au son d’instrumentations grandiloquentes sans subtilité. Tout juste le compositeur est-il sauvé par son talent indéniable pour les mélodies simples mais expressives et aisément mémorables, à commencer par celles attribuées aux personnages principaux.
Seulement, le jeu compte surtout de nombreux morceaux d’illustration, certes efficaces pour donner le ton des scènes, mais en fait transparents et vite oubliés. Trop rares sont les expérimentations électroniques qui dévient de l’optique orchestrale ténébreuse pour développer une idée plus subversive. Un pénible constat dans une série qui nous a habitués à réserver une place de premier plan à la musique. Hélas, je considère que FFXVI possède la bande originale la plus faible de la série principale, et – croyez-moi bien – j’en suis le premier attristé.
Des thématiques trop négligées
Une promesse de Naoki Yoshida avant la sortie de FFXVI avait particulièrement piqué ma curiosité : celle de proposer un Final Fantasy s’adressant à un public plus âgé, conscient des difficultés du monde. Sur ce point, il est certain que le jeu aborde des questions sérieuses. La plus évidente est celle des discriminations, incarnée par les Pourvoyeurs, dont Clive fait lui-même partie. Nombre de quêtes révèlent leur traitement inhumain, même si pour cela le jeu chausse souvent de gros sabots. Mais l’histoire réelle de l’esclavage ne manque pas d’exemples horribles, et l’intolérance demeure malheureusement une préoccupation très actuelle. Ainsi, FFXVI n’en démontre pas moins avec acuité que l’inacceptable est toujours justifié par un usage dévoyé du pouvoir et de la foi, mais que cela n’est jamais irréversible : il faut parvenir à s’extraire d’un état d’esprit inculqué de longue date.
Tout aussi actuelle est la thématique de l’écologie, que FFXVI présente à travers une relecture de fantasy de notre monde contemporain : les Cristaux-mères y incarnent les énergies fossiles, puissantes mais néfastes pour l’environnement, et les Émissaires sont l’équivalent des armes atomiques que les États emploient à des fins de dissuasion pour défendre leur accès à ces précieuses ressources – ce qui, soit dit en passant, n’empêche en rien les guerres…
En devenant l’histoire d’un groupe de résistants idéalistes prêts à de lourds sacrifices pour garantir l’avenir du monde, FFXVI sonne on ne peut plus juste. Tourner la page de l’abondance nécessite un effort tel que beaucoup refusent d’y consentir et, en l’absence des bienfaits du cristal, nombreux sont ceux qui se trouvent complètement démunis. Pire : dans une fuite en avant désespérée, les puissants se soucient uniquement de conquête pour grappiller les dernières miettes de cette énergie délétère. Faut-il alors accepter d’être impopulaire pour changer brutalement l’ordre du monde avant qu’il ne soit trop tard ? Le jeu finit par questionner la nécessité du progrès à tout prix, écho aux discussions sur la décroissance pour lutter contre le dérèglement climatique anthropique.
Bien sûr, la thématique de la disparition des cristaux a également une portée méta. Une série si fermement établie que Final Fantasy peut-elle tirer un trait sur un héritage rassurant pour mieux regarder vers l’avenir ? Brièvement évoquée, l’idée n’est que peu exploitée, et c’est peut-être là le principal souci de toutes les thématiques de FFXVI. Tout en posant de bonnes questions, le jeu ne leur accorde qu’une place assez superficielle, qu’elle soit mal illustrée ou cantonnée aux quêtes secondaires – dans tous les cas, masquée derrière la facette la plus spectaculaire de l’intrigue.
C’est aussi et surtout parce que, désireux de rappeler les plus anciens fondamentaux de la série, FFXVI préfère s’élever vers des considérations mythologiques qui diluent les complexités plus pragmatiques. Après avoir amené son antagoniste de manière réussie dans la première partie de l’histoire, le jeu sombre peu à peu dans l’opposition binaire et prévisible entre une humanité avide de liberté et des divinités déterminées à en faire des esclaves dociles, si bien que le récit s’achève sur un échange infertile de « tu ne comprends donc rien » dont on se lasse vite.
Tout en s’appropriant furtivement l’opposition entre mythos et logos chère à la philosophie antique, FFXVI n’est en fait qu’une énième relecture du sujet de la fin des mythes, à laquelle il n’apporte pas grand-chose. Pour ne citer qu’eux, FFXII et la trilogie FFXIII sont déjà passés par là, et il est certain que le premier l’a fait avec plus de subtilité. Il est donc dommage que les thématiques pertinentes précédemment évoquées doivent s’effacer derrière une dualité si convenue.
La réinvention est-elle un fardeau ?
En préambule d’une tentative de conclusion, il convient de saluer le fait que Square Enix ait laissé aux développeurs de Final Fantasy XVI le temps de couver leur jeu, si bien que celui-ci a pu sortir – comme FFVII Remake avant lui – sous une forme techniquement aboutie, sans faille majeure qui apparaîtrait instantanément évidente.
Quelques heures de jeu suffisent à trouver une aventure prenante, exécutée avec le plus grand soin. Ces points forts se maintiennent tout à fait, au point de donner lieu à des batailles époustouflantes, qui s’inscrivent volontiers parmi les séquences les plus impressionnantes de la série, ainsi qu’à de nombreuses cinématiques magnifiques qui débouchent sur une fin émouvante. Mais entre tout cela, les creux se font, eux, de plus en plus vastes. Dans les moments où le tissu se délite, FFXVI n’est jamais mauvais à proprement parler, mais fade et routinier, alourdi par de graves problèmes de rythme qui le rendent ennuyeux.
À quoi tient l’alchimie d’un jeu réussi ? Les ingrédients peuvent être là, mais la recette se révéler quelconque, même après une longue cuisson. C’est certain, FFXVI se joue avec plaisir grâce à la beauté raffinée de ses visuels et à la fluidité implacable de son système de combat. Mais, bancal dans l’union de ses influences, il subit un déséquilibre trop flagrant d’intensité et de qualité d’écriture. Alors que ses thématiques restent en surface, traitées avec une mystérieuse froideur, il s’engonce dans une noirceur monotone, sans vraiment réussir à sembler « habité ». Car c’est sans doute là son plus grand défaut : un manque d’âme, de raison de vouloir s’y attacher – et ce n’est pas faute d’avoir essayé.
Si prometteur était-il, ce seizième n’a toujours pas réussi à trouver la meilleure formule pour un Final Fantasy moderne qui soit à la fois complet, original et satisfaisant. Il partait pourtant du bon pied, avec une histoire effectivement autosuffisante – un soulagement après FFXV. Cependant, au sein de ce cadre, il survole un peu vite ses meilleures propositions et s’attarde trop longuement sur des anecdotes. Peut-être les créateurs se heurtent-ils inexorablement au concept inhérent de la série : en devant à chaque fois tout réinventer, ils ne peuvent pas mûrir une approche d’un jeu à l’autre, et la vue d’ensemble demeure trop longtemps insaisissable. Quand vient le moment de constater un problème fondamental, il est trop tard.
Ironiquement, cela tend à confirmer la conclusion atteinte par l’équipe de FFVII Remake. Dans le cadre des technologies actuelles, pour illustrer toutes les facettes d’un univers riche, développer convenablement son récit et laisser s’exprimer la personnalité des héros dans toute sa complexité, sans doute est-il devenu indispensable de s’étaler sur plusieurs jeux. Après tout, FFXV fut pendant un temps envisagé comme une trilogie, avant d’être contracté en un seul titre. Nul ne sait si cela aurait été une réussite, mais la perspective d’une épopée pensée comme telle dès le départ était séduisante. Et que dire de FFXIV, dont le triomphe des dernières extensions tient au fait qu’elles peuvent s’appuyer sur ce qui s’est raconté avant elles pour en venir directement aux faits ?
Loin de moi l’idée de militer pour des suites automatiques. Si je ne souhaite pas voir de Final Fantasy XVI-2, j’espère que son équipe de développement, qui est indiscutablement performante, pourra puiser dans cette expérience pour créer un prochain jeu mieux maîtrisé.
L’inévitable problème de la localisation
C’est désormais une habitude : quiconque joue à FFXVI avec les voix en anglais et les sous-titres en français voit son immersion régulièrement gâchée par les différences radicales de sens. Cela s’explique par les méthodes divergentes employées par les traducteurs vers les deux langues : pour les anglophones, le script d’origine n’est jamais assez bon et doit être lourdement adapté, quitte à réécrire complètement chaque réplique ; pour les francophones, il s’agit de rester près du japonais (langue dans laquelle FFXVI a été écrit), en limitant les déviations. Il est donc délicat d’accoler les deux et, pour ne pas être trop perturbés, les joueurs francophones qui comprennent bien l’anglais sont contraints d’opter soit pour la version japonaise sous-titrée, soit pour la version française intégrale. Ou, s’ils tiennent trop à l’anglais et à la synchronisation labiale native, à jouer intégralement en anglais, en gardant à l’esprit le risque que les réinterprétations dénaturent l’idée d’origine.
Ce souci est un problème persistant des localisations de Square Enix et il est difficile d’imaginer qu’il puisse persister éternellement. Peut-on seulement résoudre cette disparité irréconciliable ? Tout ce que je sais, c’est que FFXVI bénéficie d’une version française de grande qualité, traduite et doublée avec soin dans le respect de l’intention des scénaristes… à défaut d’avoir le cachet plus élégant mais artificiel du script anglais.