Nous y revoilà. Dans un mois exactement, le 22 juin, un nouveau Final Fantasy sera parmi nous – un événement qui s’est raréfié au fil des années, mais tel est le lot de bien des séries de jeux vidéo. Il s’est tellement raréfié d’ailleurs que la perspective de bientôt découvrir cette aventure, le premier nouveau monde de FF depuis longtemps, me semble encore quelque peu irréelle. Tout du moins, elle l’était jusqu’à il y a encore peu de temps. Car, à l’invitation de Square Enix France, j’ai récemment eu la chance d’essayer les quatre premières heures de Final Fantasy XVI. Cela m’a permis d’entrevoir la réponse à une question brûlante : à quoi peut ressembler un Final Fantasy en 2023 ?
Précision : ces impressions sont basées sur une version spécialement conçue pour les médias, dont le contenu peut différer de la version finale.
La seizième proposition
Au risque d’énoncer une évidence, votre avis sur FFXVI dépendra de vos attentes. À en juger les nombreux débats qui ont déjà commencé, ce n’est pourtant pas si idiot de le rappeler. Inutile de se voiler la face : un FF en 2023 ne pourra pas ressembler à ses prédécesseurs d’il y a vingt ou trente ans, et encore moins à l’image idéale du RPG japonais – pour peu que cela signifie encore quelque chose. Alors que la série veut conserver sa place dans le monde sélectif des « AAA » internationaux, il me semble pourtant inévitable que le développement suive de près les grandes tendances de l’industrie. Personnellement, j’ai cessé de me soucier des questions de catégorisation il y a longtemps. Oui, les AAA constituent un cercle fermé plutôt conformiste, mais à l’intérieur duquel il reste possible d’exprimer une intention, et c’est cela qui, pour moi, est le plus important. Il faut simplement s’en donner les moyens.
Fort de ce principe, la question de l’abandon des combats au tour par tour n’a même pas lieu d’être. Pour parler au plus grand nombre, un système d’action directe est nettement plus intuitif – sans compter le fait qu’il s’agit d’une proposition de gameplay plus immersive. Mais cela va bien au-delà des combats. Rapidement, et Naoki Yoshida lui-même l’assume, il est évident que FFXVI marche notamment dans les pas des nouveaux God of War, en laissant l’histoire guider le joueur dans un enchaînement soutenu de cinématiques et de scènes de jeu, où le rythme est donné par le récit – une touche permet même de pointer la caméra vers le prochain objectif. Ici, point de monde ouvert à arpenter en long, en large et en travers : les missions se sélectionnent sur une grande carte de Valisthéa et le voyage est instantané. J’ose à peine employer le terme « linéaire », inoffensif mais au lourd passé dans le cas de FF. Pourtant, c’est bien de cela qu’il s’agit, mais, comme l’a bien prouvé FFVII Remake, le tout est une question de dosage.
Or, une fois qu’on a comparé FFXVI à God of War, on n’a pas dit grand-chose, car ce n’est rien de plus qu’une formule. Ce qui compte vraiment, c’est ce qui l’habite. L’option de l’équipe de FFXVI a été celle d’une œuvre contractée, mais bien remplie, des « montagnes russes » pour reprendre le terme de Yoshida. Et ces premières heures auxquelles j’ai pu jouer en donnent un excellent avant-goût, que je vais décrire sans entrer dans les détails afin d’en préserver la primeur.
Après une rapide introduction, nous découvrons Clive Rosfield (ici surnommé « Wyvern ») en mission avec un groupe de compagnons sur les terres de la nation désertique de Dalméquie. À peine avons-nous le temps de le prendre en main que la mise en scène s’emporte. Sans doute facilité par les chargements éclair de la PlayStation 5, le montage effréné nous transporte avec fluidité d’un impressionnant champ de bataille à des discussions géopolitiques, entrecoupées de courts moments jouables. Puis, en un instant, nous voilà projetés treize ans plus tôt, jusqu’à l’adolescence du héros à Rosalia, dans un long prologue mêlant didacticiel des combats et présentation du contexte de Valisthéa. Pour faire court, l’archiduché de Rosalia s’apprête à entrer en guerre contre le Royaume de Fer afin de s’approprier leur Cristal-mère, dont l’énergie vitale est indispensable pour lutter contre le Fléau noir. Cette séquence offre enfin des moments d’exploration plus paisibles… ainsi que de premiers événements choquants.
Quand ce passage se referme, FFXVI a déjà montré toute sa noirceur… Et je n’en dirai pas plus, non seulement pour ne pas gâcher la surprise, mais aussi parce que ce segment sera bientôt isolé dans la démo jouable tant attendue. Tout juste puis-je souligner que les deux premières heures du jeu étaient en partie esquissées dans la première bande-annonce (mais rassurez-vous : il y a beaucoup plus à voir dans le jeu complet). Bien sûr, les graphismes ont été raffinés depuis, puisque le jeu était alors encore envisagé sur PlayStation 4.
S’il est vrai que cette entrée en matière est très cinématique, elle est aussi très accrocheuse, et pas uniquement parce que l’action est intense : le fond, également, est tout de suite digne d’intérêt. Bien exposés et écrits dans le style soigné qu’on pouvait attendre des héritiers de Yasumi Matsuno, les enjeux familiaux de Clive, Joshua et leurs parents sont tout de suite convaincants. Soulignons d’ailleurs l’excellente qualité des voix françaises, qui m’ont décidé à jouer à la version complète dans cette langue.
Après avoir repris le contrôle de Clive vingtenaire, et au terme de quelques autres péripéties et retrouvailles, nous arrivons au repaire de Cidolfus, qui servira de base des opérations. C’est ici que se trouvent les premières quêtes secondaires. Encore sommaires, elles n’en sont pas moins nouées dans le récit et donnent des détails de contexte supplémentaires bienvenus (notamment sur les Pourvoyeurs, ces personnes douées de magie, mais traitées de manière inhumaine par certaines nations). Espérons que les quêtes secondaires suivantes feront l’objet d’un même soin !
À peine avons-nous le temps de prendre connaissance des lieux qu’il s’agit de repartir à l’aventure dans un nouvel environnement, cette fois-ci aux côtés de Cid, et c’est peu après que j’ai dû rendre ma manette. Alors que les premières heures laissent à peine le temps de souffler, c’est seulement à ce moment-là que les possibilités du jeu semblent enfin s’ouvrir. Goûter à la face plus libre de FFXVI attendra donc la version définitive. Qu’à cela ne tienne : je n’en suis que plus impatient.
Un jeu sombre qui s’assume
Derrière les montagnes russes et la forme attendue d’un AAA actuel, j’ai pris plaisir à constater à quel point FFXVI avance à visage découvert, fier des influences qui animent ses créateurs. On entend souvent dire qu’il s’inscrit simplement et de manière intéressée dans la mode sombre et mature de Game of Thrones ou The Witcher. Si ces noms ont certainement été à l’esprit de l’équipe pendant le développement, il serait malhonnête de réduire FFXVI à ce seul prisme, tant ses têtes pensantes sont des amoureux de longue date de dark fantasy – genre qu’ils avaient rêvé d’exprimer il y a bientôt quinze ans dans leur jeu d’action annulé (lisez mes portraits de Hiroshi Takai et Kazutoyo Maehiro pour en savoir plus) et qui transparaît aisément dans l’extension Heavensward de FFXIV. Autrement dit, les racines de ce seizième Final Fantasy remontent loin.
Ces inspirations ont également motivé la direction artistique extrêmement sobre et réaliste, due à Hiroshi Minagawa (FF Tactics, Vagrant Story, FFXII et FFXIV). Si, au fond de moi, je pencherai toujours davantage pour les univers graphiques plus extravagants des productions de Yoshinori Kitase (FFXIII, FFVII Remake), il est certain que le monde médiéval de Valisthéa porte une patte visuelle soignée, aux couleurs délicates et aux éclairages photoréalistes élégants. Le choix d’une aventure linéaire se traduit d’ailleurs par des environnements de taille modeste, qu’il est plus facile de rendre foisonnants – les grandes zones ne s’ouvrent que plus tard dans l’histoire. Le jeu n’offre pas moins des panoramas magnifiques, dans les terres arides de la Dalméquie du tout début, dans l’imposant château de Rosalia ou dans les superbes paysages verdoyants de la Grande Sylve. Techniquement parlant, si on sent qu’il demeure les fondements d’un lointain chantier sur PS4, le jeu est tout à son aise sur PlayStation 5.
Plus réjouissant encore, FFXVI s’inscrit dans la lignée de FFXII pour le soin apporté à son univers sous-jacent (le « lore », comme il faut dire), à sa géopolitique de fantasy et à la préciosité des dialogues. D’emblée, tout paraît réfléchi, crédible, écrit avec la simple distance théâtrale d’une œuvre s’inscrivant dans monde médiéval fantastique. Il n’y a rien d’étonnant à cela, le scénariste et directeur créatif Kazutoyo Maehiro ayant été formé à l’école Matsuno sur FF Tactics, Vagrant Story et FFXII.
Ainsi ce lore affleure en permanence, généreusement exposé grâce à la Chronographie (nommé Active Time Lore en anglais), un système qui permet d’appuyer sur le pavé tactile à tout moment, y compris en pleine cinématique, pour consulter des informations contextuelles. Les pavés de textes explicatifs dans les menus n’ont certes jamais été une solution idéale, mais l’approche de FFXVI, qui permet de s’en tenir à quelques faits ou piqûres de rappel rapides, est bien pensée. Quoique, pour ceux qui aiment se gorger d’informations, le repaire de Cid accueille Harpocrate, qui met à disposition du joueur une vaste encyclopédie dans laquelle il est même possible de faire des recherches par mot-clé ou par ordre alphabétique ! De fait, le jeu aime son lore et n’a pas honte de le montrer – ce en quoi les joueurs de FFXIV, eux aussi, avanceront en terrain connu.
Pas de quoi redouter une facilité de la part des développeurs : une fois embarqué dans l’aventure, le récit est suffisamment clair pour situer les forces en présence et les motivations des personnages. Bien sûr, je ne commente ici qu’un postulat de départ. Il est beaucoup trop tôt pour juger si cet univers, si détaillé soit-il en apparence, sera également intéressant une fois la vue d’ensemble acquise. En plus de l’approfondir, il me tarde désormais de continuer à faire connaissance avec Clive – car cette session m’a paru insuffisante pour m’attacher à lui – et de lever le voile sur les mystères posés en ouverture.
Aparté : la déception des oreilles
Ce tableau fort positif comporte-t-il une fausse note ? Eh bien oui, au sens littéral du terme : la musique. Grâce à l’élan donné par Nobuo Uematsu, cet élément est l’une des caractéristiques les plus nobles de Final Fantasy, et nous n’avons que rarement été déçus. Or, je crains que FFXVI soit ma première déconvenue. En moins de quatre heures de jeu, presque rien ne m’est resté dans l’oreille, si ce n’est une jolie pièce au piano dans une cinématique et de rares moments saillants. Le reste tenait uniquement de la décoration tout à fait fonctionnelle, mais d’une triste discrétion, dans une palette strictement orchestrale allant du plus transparent au plus martial.
En l’absence des transgressions souvent jouissives qui ont fait sa renommée dans FFXIV, Masayoshi Soken semble quelque peu démuni. Certes, l’instruction était clairement de ne pas dénoter avec l’univers de dark fantasy, alors je ne puis blâmer le compositeur et ses assistants. En vérité, le manquement le plus intolérable vient de la rareté des enregistrements réels, choix artistique cruel dès lors que la partition emploie des instruments d’orchestre. Ce qui est acceptable dans FFXIV – pour des raisons d’efficacité – fait tache dans FFXVI, surtout quand les précédents épisodes (je pense avant tout à FFXIII et XV) nous avaient habitués à une qualité sonore de haut niveau avec l’usage abondant d’orchestrations réelles.
Résultat : même s’ils sont bien composés, nombre de morceaux paraissent fades, voire creux, dénués du souffle grandiose d’un ensemble instrumental authentique. Je reste convaincu que le jeu nous réservera des perles, mais cette prise en main m’a laissé plus inquiet que jamais.
Au contact des combats
La fatigue s’est emparée de moi en découvrant que, des années après FFXV, le débat du système de jeu s’est encore une fois abattu sur nous alors que je le pensais plié. Il faut dire que je ne fais pas partie des nostalgiques du tour par tour, que je considère comme un archaïsme ennuyeux m’arrachant au véritable fond d’un jeu : s’immerger dans un univers et apprécier au plus près l’histoire qui s’y déroule. Depuis FFXII, il est pour moi évident qu’insérer les combats dans le fil de l’exploration, sans la pénible entrave des rencontres aléatoires, est la meilleure voie à suivre. Que FFXVI se présente – d’ailleurs faussement – comme le premier RPG d’action pur de la série ne m’a jamais posé le moindre problème. Tout le paradoxe est que je fuis la difficulté, alors ce terrain d’expérimentation est intéressant : comment créer un système d’action palpitant tout en épousant l’impératif d’accessibilité d’un FF ?
Pour en juger, j’ai sélectionné le mode Histoire, qui équipe d’office Clive d’accessoires facilitant les commandes de combat, dont la possibilité de ralentir brièvement le temps pour exécuter les esquives avec R1 (voire de les automatiser totalement) et de déclencher des enchaînements uniquement avec la touche carré. De quoi me rassurer d’emblée.
Pourtant, je me suis rapidement surpris à oublier ces assistances et à anticiper les coups adverses, le jeu étant plutôt tolérant dans sa fenêtre de réaction, et à faire moi-même les enchaînements. Appuyer successivement sur les touches carré (attaque physique) et triangle (attaque magique) permet par exemple de déclencher un assaut de base efficace. À cela s’ajoute la touche rond, liée au Primordial dont les pouvoirs sont actifs. En ce début de jeu, elle déclenche seulement l’Éclipse de Phénix, manœuvre de mobilité rapide entre Clive et sa cible qui n’est pas sans rappeler les capacités virevoltantes de Noctis dans FFXV. Un tel arsenal suffit déjà à proposer des combats prenants, si bien que la possibilité d’alterner entre les pouvoirs de plusieurs Primordiaux, qui attend plus loin dans l’aventure, promet des combinaisons spectaculaires.
À cela s’ajoute le soutien du chien Talgor, que je n’ai pu tester que brièvement car il n’aide Clive qu’après l’arrivée du repaire de Cid. S’il se bat de sa propre initiative, il est aussi possible de lui donner des ordres simples (comme attaquer ou soigner) avec les touches directionnelles, ce qui ajoute une possibilité supplémentaire de combo.
Si vous craignez que ce système soit trop rapide ou accablant, laissez-moi vous rassurer. Manette en main, j’ai en effet été agréablement surpris par la lisibilité des affrontements, dont les indications textuelles (visibles sur la partie droite de l’écran) offrent un retour immédiat sur ses actions. Autrement dit, on comprend ce qu’on fait, et les expérimentations n’en sont que plus faciles. De même, malgré la présence de Ryôta Suzuki (Devil May Cry 4 et 5) aux commandes des combats, on sent dans certaines batailles des mécaniques de zones d’effet proches de celles de FFXIV. À cela s’ajoutent, contre les boss et les mini-boss, des interruptions cinématiques employant des QTE de deux types : des offensives (avec carré) et des esquives (avec R1), dont les durées d’activation sont très généreuses. Rien de bien novateur, mais les batailles gagnent là une mise en scène dynamique.
Évidemment, rien d’aussi dynamique que les fameux conflits entre Primordiaux dont la campagne promotionnelle de FFXVI n’a de cesse de nous parler, si bien qu’il n’a échappé à personne qu’il s’agira de l’un des sommets de cet épisode. Le premier d’entre eux se déroule dans le segment auquel j’ai pu jouer (avec néanmoins une astuce que je vous laisserai découvrir), et c’est peu dire que le grand spectacle est au rendez-vous, avec des commandes contextuelles suffisamment simples pour profiter au mieux de la débauche d’effets. Et le plus étonnant, c’est que la tension ne découle pas tant de l’action frénétique à l’écran que du temps fort de la narration dans lequel l’affrontement s’inscrit – mais, ici encore, pas question de trop en dire.
Il faut désormais souhaiter que les combats entre Primordiaux suivants parviendront eux aussi à faire converger la démonstration visuelle et la force du récit. Sur le premier point, les aperçus que nous avons eus jusque-là sont très prometteurs.
Le choix de la prudence
Quatre heures passées en compagnie de Final Fantasy XVI, c’est trop peu pour savoir avec certitude si c’est bien à cela que doit ressembler un FF en 2023. Certes, on peut tout à fait regretter de ne voir qu’une relecture de modèles éprouvés par les récentes superproductions occidentales, surtout venant d’une vénérable série qui a plusieurs fois donné le la de l’industrie. Sauf que, passée son heure de gloire, FF a connu quelques déconvenues. Il y a donc un public à reconquérir et, plus encore en réalité, à conquérir. Sur ce sujet, je ne peux que constater à quel point FFXVI est un jeu prudent, qui a soigneusement retenu la leçon du monde ouvert bancal de FFXV et, au lieu de chercher à inventer quelque chose, a préféré se mouler dans une linéarité rassurante et efficace. Oui, mais une linéarité qui n’est pas radicale, et qui puise simplement dans le talent indiscutable de Square Enix pour les présentations visuelles luxueuses.
Pourtant, derrière ces précautions, on sent d’emblée une ferveur pour la conception d’un univers approfondi, proposé avec confiance et enthousiasme, dernière illustration d’une vision du RPG posée par Yasumi Matsuno il y a des décennies de cela et heureusement intégrée par Naoki Yoshida dans sa philosophie de développement. Savoir que FFXII a fait des enfants, même s’il a fallu attendre tant d’années, est pour moi un réel motif de réjouissance.
Tous doutes mis à part, il n’en reste pas moins que l’introduction de Final Fantasy XVI constitue les prémices réussies d’une aventure qui sera, à n’en pas douter, rythmée et spectaculaire. Ayant désormais acquis la conviction que le cadre est solide et que le système de combat est plus accessible que je l’espérais, j’ai d’autant plus hâte de savoir ce que les développeurs ont réussi à en faire sur la durée, en espérant que la course s’offrira tout de même quelques étapes plus propices à la contemplation et à la plongée dans l’univers. Par chance, le 22 juin sera vite arrivé.
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