L’histoire de Final Fantasy Type-0 est celle d’un jeu dévoilé trop tôt, chargé d’ambitions manifestes, mais qui n’a jamais semblé adapté à aucune de ses époques. Il est né en 2006 en tant que Final Fantasy Agito XIII, promis à une nouvelle génération de téléphones portables qui n’est jamais arrivée. Il a été transporté sur PSP en 2008, mais la priorité donnée à d’autres titres l’a longuement tenu en suspens. Enfin sorti en 2011 sous un nouveau nom, mais aux dernières heures de la PSP, il n’a pas quitté les frontières du Japon. Son destin à l’échelle mondiale est alors resté nébuleux pendant près de trois ans. Mais cette année, il arrive enfin en Occident, sur PlayStation 4 et Xbox One… dans une remasterisation coquette, mais qui ne peut pas effacer les traces de ses origines sur console portable.
Alors que Final Fantasy Type-0 HD connaît enfin une sortie mondiale, près de neuf ans après sa première évocation, je vous propose de retracer ensemble l’histoire compliquée du jeu.
– La 1re ère : Final Fantasy Agito XIII sur téléphone portable
– La 2e ère : Final Fantasy Agito XIII sur PSP
– La 3e ère : Final Fantasy Type-0 sur PSP
– La 4e ère : Final Fantasy Type-0 HD pour PS4 et Xbox One
La 1re ère : Final Fantasy Agito XIII sur téléphone portable
L’histoire publique de Final Fantasy Agito XIII a commencé le 8 mai 2006, à l’E3. Révélé en grande pompe aux côtés de FFXIII et Versus XIII, le jeu devait être le pendant mobile et en ligne de la compilation Fabula Nova Crystallis. En latin, agito signifie « mettre en mouvement », mais en ce jour de dévoilement, en réalité, le projet venait à peine de commencer. Seuls le réalisateur Hajime Tabata, le designer des personnages Tetsuya Nomura et le directeur artistique Yûsuke Naora étaient concrètement au travail sur le jeu, avec la promesse que le compositeur Takeharu Ishimoto les rejoindrait plus tard. Pour illustrer le nouveau venu, Square Enix ne pouvait donc en montrer qu’un logo et quelques esquisses. Et pour les détails, il fallait se contenter d’une poignée de promesses, belles mais vagues.
Hajime Tabata révèle Final Fantasy Agito XIII à l’E3 en mai 2006
Premières illustrations de Yûsuke Naora et Tetsuya Nomura
Dans sa première forme, Final Fantasy Agito XIII aurait dû être un RPG mobile en 3D intégrale invitant le joueur à choisir l’un des douze personnages disponibles (tous ceux que l’on connaît actuellement à l’exception de Machina et Rem) pour partir à l’aventure dans un monde immense et immédiatement accessible. Hajime Tabata voulait en faire un Final Fantasy à vocation universelle, dans lequel les joueurs auraient pu s’immerger très facilement, à n’importe quel moment, directement depuis leur téléphone. Pour cela, il comptait mettre au point un système multijoueur fluide permettant d’accueillir dans sa partie les joueurs se trouvant à proximité, et ce, même s’il promettait un jeu avant tout centré sur une quête en solo. À ce moment-là, Agito XIII devait adopter un système de combat à base de menu de commandes, et non orienté action, pour éviter soi-disant de trop solliciter les serveurs.
Les uniques images de gameplay en version mobile
Si les premières discussions avaient commencé dès 2005, l’équipe qui allait s’occuper du développement venait à peine de publier le dernier chapitre de son précédent titre, Before Crisis: Final Fantasy VII, lorsqu’Agito XIII a été dévoilé. Jusqu’à ce moment-là, Square Enix avait eu l’occasion de distribuer plusieurs jeux mobile par le biais de fournisseurs qui produisaient eux-mêmes leurs « keitai », ces smartphones typiquement japonais qui à l’époque faisaient rêver le reste du monde. Before Crisis était l’un de ces titres, et Square Enix l’avait conçu en collaboration directe avec NTT DoCoMo pour les téléphones de sa gamme 3G FOMA. C’est ainsi que dès 2006, armé d’une confiance démesurée, Square Enix se préparait à l’arrivée prochaine d’une nouvelle génération d’appareils, dont Hajime Tabata n’hésitait pas à vanter déjà les potentiels mérites dans la presse… Avant d’admettre que son équipe n’avait encore entamé aucune discussion avec les fournisseurs de téléphonie mobile.
Images de synthèse des bandes-annonces du jeu mobile
Résultat, Final Fantasy Agito XIII était développé à l’aveugle, sur PC, en utilisant une simulation des possibles caractéristiques techniques et des spécifications réseau de ces futures petites machines. Grave erreur : cette nouvelle génération dont ils rêvaient déjà, la 4G, n’arriva pas en temps voulu. Et comme ils se refusaient à réduire leurs ambitions, l’idée de se résoudre à préparer Agito XIII pour la génération 3G ne fut semble-t-il même pas abordée. L’éditeur avait cru pouvoir se positionner à l’avant-garde en faisant preuve d’une telle prévoyance, mais au bout de longs mois de stagnation et en l’absence de visibilité, ils ont dû prendre une décision. En septembre 2007, Tabata signalait dans Famitsu qu’une annonce majeure était prévue pour l’année suivante.
La 2e ère : Final Fantasy Agito XIII sur PSP
Et c’est ainsi que près d’un an plus tard, lors de sa convention DKΣ3713 le 2 août 2008, Square Enix annonçait que Final Fantasy Agito XIII était désormais en développement sur PSP. Cette version pour console était en réalité prévue depuis le départ, mais mise en attente au profit de celle sur téléphone mobile. Devant l’évidence de la situation, elle était finalement devenue prioritaire : contrairement aux téléphones 4G, la PSP existait bel et bien, et l’équipe de Tabata qui avait achevé à l’été 2007 la conception de Crisis Core: Final Fantasy VII devait désormais s’engager dans un nouveau projet concret. Profitant du savoir-faire acquis sur Crisis Core, les développeurs décidèrent de changer l’optique du système de jeu et de transformer Agito XIII en un RPG orienté action. La facette multijoueur n’en restait pas moins prévue, avec même la confirmation qu’elle fonctionnerait autant en local que par Internet.
L’événement DKΣ3713 et les premières images sur PSP
La révélation rapide des premières images in-game et de détails sur le gameplay, à l’été puis à l’automne 2008, sembla indiquer que le projet était enfin consolidé et qu’il était promis à un avenir plus ou moins proche. En réalité, le développement n’avait commencé qu’au début de l’année et Agito XIII replongea rapidement dans le silence. Tout juste était-il rompu à l’occasion des différents salons de jeu vidéo japonais, mais c’était la funeste époque des closed mega theaters, des salles de projection privées d’où ne filtraient que quelques bribes, et surtout pas d’images. Les informations mettaient si longtemps à être diffusées au grand public que Square Enix continua pendant plusieurs mois à faire la promotion publique du jeu en montrant des graphismes datant de la version mobile ! Pour les joueurs du monde entier, il fallut attendre la sortie de la démo de FFXIII en avril 2009 pour découvrir la bande-annonce révélée à DKΣ3713 en août 2008. Tetsuya Nomura lui-même se devait alors de préciser dans la presse que l’apparence des menus avait déjà changé entre-temps.
Ancienne interface sur PSP, où les personnages portent les noms de leurs armes
En l’absence de détails plus concrets, le même Nomura assurait que l’univers d’Agito XIII, Orience, serait extrêmement copieux grâce au travail acharné de Hajime Tabata. Dès l’origine du projet, ce dernier voulait raconter l’histoire d’une guerre à travers le regard de jeunes élèves officiers, et pour cela, il souhaitait donner à son titre le ton d’un documentaire historique. La révélation de la version PSP avait permis de se familiariser davantage avec son contexte géopolitique. Mais avant toute chose, le jeu devait s’inscrire dans la mythologie Fabula Nova Crystallis, une légende imaginée par Kazushige Nojima et dont les créateurs des trois FFXIII allaient s’inspirer pour préparer leurs jeux. Tabata commença par ne pas s’en soucier, et ce n’est qu’après se l’être fait reprocher, par le coproducteur Yoshinori Kitase notamment, qu’il fit en sorte de tisser le mythe dans son histoire. Là où Motomu Toriyama puisa dans la partie divine pour FFXIII, Tabata souhaita en révéler la dimension plus humaine en soulignant le destin des mortels devant l’adversité.
Images de la courte vidéo révélée en septembre 2010
En 2010, Final Fantasy Agito XIII ne progressait qu’en second plan, l’équipe de développement devant privilégier The 3rd Birthday qui était lui aussi passé du support mobile à la PSP. Cela n’empêchait pas ses créateurs d’évoquer discrètement le jeu, dans la presse ou par le biais du compte Twitter du fan club japonais officiel de Square Enix, pour rassurer les joueurs sur la bonne avancée du projet. Tabata se sentit néanmoins obligé de prévenir que son jeu allait pousser loin la gravité des batailles. Au Tokyo Game Show, en septembre 2010, une courte vidéo commune avec Versus XIII montra en effet un jeu bien abouti, aux combats intenses et sanglants. Et un rendez-vous fut donné : en janvier 2011, une conférence dédiée aux projets estampillés Fabula Nova Crystallis devait marquer le grand retour d’Agito XIII sur le devant de la scène.
La 3e ère : Final Fantasy Type-0 sur PSP
Final Fantasy Agito XIII disparut le 18 janvier 2011 pour devenir Final Fantasy Type-0. Du haut de son logo remanié, portant le titre « rei shiki » (type zéro) calligraphié par le directeur artistique Yûsuke Naora, le jeu était strictement identique mais semblait désormais capable d’afficher des ambitions propres. Tout en le maintenant dans la mythologie Fabula Nova Crystallis, Hajime Tabata avait voulu détacher son jeu du numéro XIII car il était devenu trop différent, principalement à cause de l’angle plus intense pris par les combats et par la présence d’un mode multijoueur intégré. Mais ce dernier, s’il fut à l’origine annoncé à la fois en ad hoc et infrastructure, avait en fin de compte fait l’objet d’un remaniement qui l’éloigna un peu plus des concepts imaginés par Agito XIII sur mobile. Plus question de jouer sur Internet, uniquement en local : le joueur allait pouvoir accueillir un ami dans sa partie pendant une courte session, trois minutes au maximum, par exemple pour être aidé en cas de difficultés.
Hajime Tabata annonce le changement de nom au Square Enix 1st Production Department Premiere
Pour marquer le grand retour du jeu, Square Enix commença par présenter de gros chiffres : ce serait leur premier titre PSP à tenir sur 2 UMD, notamment pour accueillir les doublages de plus de 30 personnages ! Tenue en muselière depuis 2008, la communication reprit dès l’annonce du changement de nom, et ce à grand renfort d’apparitions régulières dans la presse japonaise. Quelques mois suffirent à en révéler beaucoup plus qu’en cinq ans. Fidèle à sa promesse, Tabata présenta un système de combat brutal, dans lequel la magie occupe une place centrale. Pour tenter de la rendre réaliste, les développeurs ont rendu son impact sur le terrain palpable : le feu enflamme la cible, la glace la congèle… Il est même possible d’en « mécaniser » les effets pour transformer les sorts en véritable tir de fusil, en bombe ou même en missile. Quant aux invocations, faire appel à l’une d’elles signifie sacrifier un personnage pendant tout le reste de la mission, mais leur puissance en vaut certainement la chandelle.
Annoncé à l’origine pour l’été 2011, Final Fantasy Type-0 fut repoussé au 13 octobre car, si le développement touchait bel et bien à son terme, la vérification et la correction des bugs allait prendre plus de temps que prévu à cause du volume du jeu. Square Enix fut même contraint de le repousser un peu plus encore pour procéder aux tout derniers ajustements. Les développeurs profitèrent malgré tout de ces derniers mois cruciaux pour proposer une démo jouable, d’abord lors du festival tokyoïte United States of Odaiba dès juillet, puis librement accessible sur Internet le 11 août. L’équipe a alors puisé dans les réactions des joueurs pour procéder à des changements de gameplay de dernière minute : facilitation du système des animas (qu’il fallait à l’origine récolter une par une sur chaque ennemi vaincu), correction de la caméra et rééquilibrage des personnages, en particulier.
La démo jouable présentée à United States of Odaiba
L’événement fêtant la sortie du jeu à Tokyo, en présence de 200 fans
Finalement lancé le 27 octobre, Final Fantasy Type-0 s’écoula à près de 700 000 exemplaires, devenant le 6e jeu le plus vendu de l’année au Japon. Bien sûr, la question d’une sortie occidentale se posa rapidement, et l’absence totale du jeu à l’E3 cette année-là fut un signe des plus inquiétants : interrogé sur la question, Yoshinori Kitase était bien obligé d’admettre que rien n’était encore prévu. Peu après la sortie japonaise, Hajime Tabata confiait au détour d’un entretien dans le guide officiel que son équipe était bien au travail sur une version localisée, mais passé ce message rassurant, le silence se fit.
La 4e ère : Final Fantasy Type-0 HD pour PS4 et Xbox One
Square Enix étudia naturellement la possibilité de sortir Final Fantasy Type-0 en dehors du Japon, si bien que la quasi intégralité du doublage américain fut enregistrée dès la fin 2011. Une procédure habituelle pour l’éditeur. Mais si le marché de la PSP était encore viable au Japon à ce moment-là, il était à l’agonie en Amérique du Nord et en Europe, et les bureaux de Square Enix dans ces régions craignaient que cela ne joue en défaveur de Type-0. Dans ces circonstances, Hajime Tabata et ses équipes réfléchirent à la possibilité d’un portage sur un autre support. La PlayStation Vita sembla être le choix le plus évident, mais la console venait à peine de sortir, et ses ventes timides au Japon et dans le reste du monde ont vite découragé l’éditeur de se lancer dans un tel projet. Leur regard se tourna alors vers la PlayStation 3 et la Xbox 360, mais Type-0 ayant été conçu pour une plateforme portable, Tabata souligna qu’il aurait fallu se lancer dans une révision du système de jeu pour l’adapter à un gameplay sur téléviseur.
Dévoilé en juin 2013, FFXV est en partie développé par l’équipe de Type-0
Ces réflexions furent suspendues en juillet 2012, au moment où l’équipe de Type-0 fut intégrée à celle de Final Fantasy XV. Square Enix n’avait pas abandonné l’idée de localiser le jeu, mais la décision fut prise d’attendre une situation plus propice. La nouvelle priorité de l’éditeur était de toute façon devenue FFXV, dont le développement venait d’être relancé sur PS4 et Xbox One, et sur lequel Tabata venait d’être nommé coréalisateur. Mais pendant ce temps, en l’absence de nouvelles, la presse et les joueurs occidentaux commencèrent à manifester tour à tour inquiétude et impatience. Une pétition, l’opération Suzaku, fut lancée un an jour pour jour après la sortie japonaise du jeu. Dans une interview publiée quelques jours plus tard, en novembre 2012, Tabata se trouva bien obligé d’expliquer qu’il avait choisi de faire table rase et d’attendre qu’une occasion nouvelle se présente. La question était alors de savoir ce qui pourrait bien débloquer la situation.
Le site de l’opération Suzaku et une interview cruciale d’USgamer avec Tabata
La décision de remasteriser Final Fantasy Type-0 en HD arriva peu après le Tokyo Game Show 2013. Appuyé par l’équipe du jeu, l’afflux de demandes de fans (y compris dans sa propre boîte e-mail) et la publication d’articles de presse tels que celui du site américain USgamer, Hajime Tabata réussit enfin à convaincre le président de Square Enix de donner le feu vert au projet. D’abord imaginé pour PS3, PS4, Xbox 360 et Xbox One, il fut rapidement maintenu uniquement sur les consoles de nouvelle génération : l’équipe de développement allait pouvoir mettre à profit les technologies utilisées sur FFXV, et Square Enix imagina que Type-0 HD serait un bon moyen d’encourager les joueurs à se procurer les nouvelles consoles en attendant le quinzième épisode. Tabata se tourna alors vers le studio Hexadrive, avec qui il avait travaillé sur The 3rd Birthday, pour assister son équipe dans le travail de remasterisation.
Tabata présente Type-0 HD au TGS 2014 et regarde les joueurs à la Paris Games Week
Final Fantasy Type-0 HD fut officiellement annoncé à l’E3, en juin 2014, puis pleinement dévoilé au Tokyo Game Show quatre mois plus tard. Comme prédit par Tabata, l’adaptation sur PS4 et Xbox One a contraint l’équipe à procéder à plusieurs ajustements, tout en parant au plus pressé. Malgré un effort notable sur les modèles 3D des personnages, le lissage général des graphismes ne peut dissimuler les origines PSP du titre, et le mode multijoueur, qui aurait autrement nécessité de créer un environnement réseau adapté aux consoles de salon, a été purement et simplement retiré. Des sacrifices nécessaires pour assurer une sortie rapide, permettant aux développeurs de livrer aux joueurs occidentaux le jeu tant attendu, avant de se consacrer pleinement à la conception de FFXV…
Final Fantasy Type-0 HD est finalement sorti en mars 2015, marquant la fin de neuf années pleines de silences et de rebondissements. Aujourd’hui, Hajime Tabata et son équipe ne cachent pas leur désir de prolonger cette nouvelle série dans la série. Témoin de cette ambition : l’ajout dans la version HD d’une cinématique de fin inédite conçue à partir des idées préparatoires d’un jeu dont la pré-production fut interrompue en 2012 par l’intégration de l’équipe de Type-0 dans celle de FFXV. Reste à savoir maintenant si ce projet bourgeonnera un jour.