En décembre dernier, le magazine japonais Famitsu organisait une interview inédite entre Hironobu Sakaguchi et Yoshinori Kitase. Le père de Final Fantasy et celui que l’on considère aujourd’hui souvent comme son héritier se rencontrent toujours régulièrement, mais c’est la première fois qu’un magazine les réunissait pour un entretien officiel.
Ils ont ainsi discuté de leur rencontre, de leur expérience de travail chez Square dans les années 90, ou encore de leurs nouvelles productions sur téléphones portables : Terra Battle pour Sakaguchi et Mevius Final Fantasy pour Kitase. L’une des parties les plus intéressantes de cette interview croisée concerne la définition de Final Fantasy, sujet on ne peut plus débattu depuis longtemps déjà. Mais lorsqu’on tient une réponse de la bouche de celui qui a créé la série et de celui qui a été son fidèle collaborateur sur quelques-uns des épisodes les plus célébrés, on peut considérer qu’on frôle la vérité.
Vous trouverez ci-dessous une traduction du fragment de l’interview spécifiquement consacré à la façon dont Yoshinori Kitase a cherché à obtenir de la bouche de Sakaguchi une définition de ce qui constitue selon lui Final Fantasy. Et qui sait, la réponse à cette question brûlante se trouve peut-être à la fin… Les deux hommes sont interrogés par le rédacteur en chef de Famitsu, Katsuhiko Hayashi.
Katsuhiko Hayashi : Selon moi, c’est Sakaguchi qui a créé Final Fantasy et, maintenant, c’est Kitase qui en est l’héritier. J’aurais aimé savoir ce que vous en pensez.
Hironobu Sakaguchi : Comme nous avons conçu FFV ensemble, on peut dire que c’était un projet à nous deux. Alors plutôt que parler d’héritier, disons plutôt que Kitase et moi avons un « lien du sang ». Maintenant que j’y pense, je me souviens qu’il m’avait un jour envoyé un e-mail inattendu dans lequel il m’écrivait : « est-ce que tu pourrais me dire qu’est-ce que Final Fantasy selon toi ? »
Yoshinori Kitase : C’était pendant le développement de FFXIII. Comme l’équipe était très nombreuse, il arrivait malheureusement que certains perdent le fil de ce qu’il y avait à faire. Nous avons donc décidé qu’une fois par mois, toute l’équipe se réunirait pour présenter où en était chacune des parties du projet et avoir une idée de son état général. Et il y avait un moment plus décontracté, où je lisais à tout le monde les messages de Sakaguchi…
Sakaguchi : Un moment décontracté ?! Et moi qui écrivais ça sérieusement ! (rires)
Kitase : Excuse-moi, ça ne l’était qu’à moitié. (rires) J’avais discuté de la question de ce qui fait Final Fantasy avec Motomu Toriyama, le réalisateur, et il me disait : « Si on prend Disney, par exemple, les paroles de Walt Disney sont restées et ont été transmises aux animateurs qui lui ont succédé. Dans le cas de Final Fantasy, ce seraient les paroles de Sakaguchi. » Comme l’équipe [de FFXIII] comptait peu de membres qui étaient là à l’époque de Sakaguchi, et comme Toriyama lui-même avait envie de connaître son avis, je l’ai invité à manger pour qu’il me l’explique.
Sakaguchi : Mais comme on a fini complètement soûls, mes réponses n’étaient pas vraiment pertinentes. Alors le lendemain, comme j’avais des remords, je t’ai envoyé un e-mail avec ma vraie définition. (rires)
Kitase : Ça me fait penser à cette fois où, en pleine conversation, je me suis rendu compte que je n’avais aucun souvenir d’avoir discuté avec toi de ce qu’est Final Fantasy. Alors Tetsu* s’est souvenu que tu lui avais dit que « tant que les fenêtres de texte sont bleues, c’est Final Fantasy ».
(*Tetsu est le surnom qu’ils donnent à Tetsuya Nomura)Sakaguchi : C’est le genre de choses qu’il est facile de mal interpréter. Il y a une signification profonde et je pense que Tetsu a compris ce que je voulais dire. À l’époque de FFV, Kitase et moi avons voulu changer Final Fantasy à tout prix et nous avons cherché à épuiser toutes les idées possibles et imaginables. Même si au final elle ne donnaient rien, nous savions que la fois suivante, nous allions encore dépenser toute notre énergie à chercher de nouvelles idées et faire en sorte de tout changer. Mon conseil était donc : tant que les fenêtres sont bleues, on peut faire ce qu’on veut avec le reste.
Hayashi : Donc il suffit de mettre ça pour « faire FF », et on peut tout se permettre ensuite ?
Kitase : Il arrive que les équipes en charge des titres actuels fassent leurs propres recherches sur la nature de Final Fantasy en réunissant et en étudiant des documents. C’est vrai que c’est important, mais il ne faut pas non plus qu’ils se sentent prisonniers de l’héritage de la série. Je pense qu’ils devraient agir plus librement.
Hayashi : J’aimerais beaucoup pouvoir publier le message de M. Sakaguchi expliquant ce qu’est Final Fantasy.
Kitase : S’il est d’accord.
Sakaguchi : Je vous en prie. Comme je l’ai écrit sérieusement, ça devrait aller. (rires)
Et c’est ainsi que Famitsu a rapporté l’extrait du message de Sakaguchi.
Voici ma réponse à la question « qu’est-ce que Final Fantasy ? » :
« C’est ce qui naît lorsque, ayant arpenté de nombreux chemins sur lesquels personne n’a jamais posé le pied, des gens déterminés atteignent enfin un objectif commun. »
Je souhaite que la série continue toujours à tenter des choses nouvelles.
Le message symbolique de Sakaguchi n’est pas sans rappeler le commentaire qu’il faisait, il y a quelques années, lorsqu’il avait retrouvé des photos de l’équipe de Final Fantasy III datant de 1990. Soulignant que chacun des développeurs avait sa propre personnalité, il concluait que « quand ils se tournent vers la même direction, ils représentent une vraie force ». C’est sans doute cela le plus important : la conviction avec laquelle des créateurs s’aventurent en terrain nouveau. On prend vite la mesure du risque que cela implique, mais c’est sans doute cela qui fait le sel de Final Fantasy.
Je laisserai le mot de la fin à celui qui porte actuellement sur ses épaules le poids du prochain grand épisode, avec ce message que l’on pouvait lire dans le grand article du nouvel an publié par le site japonais 4Gamer :
Hajime Tabata : Il y a peu de temps, j’ai eu l’occasion de rencontrer Hironobu Sakaguchi, qui m’a dit : « Prends bien soin de mon enfant ». J’ai senti la pression monter. (rires)