La direction de Square Enix a changé, dans les deux sens du terme. Le comité de direction est en plein changement et, par conséquent, l’optique de la société est sur le point de prendre une nouvelle voie. Récemment, le nouveau président Yôsuke Matsuda (chez Square depuis 2001) nous a expliqué ce que l’avenir devrait nous réserver.
En mars dernier, nous apprenions que Yôichi Wada allait quitter ses fonctions de PDG de Square Enix à la fin du mois de juin, suite à des résultats financiers désastreux. Il était d’ores et déjà évident qu’une page allait se tourner, mais nous ne savions pas encore tout à fait de quelle nature allait être la transition. Dans un compte rendu de réunion publié par l’éditeur il y a quelques jours, son successeur désigné Yôsuke Matsuda a commencé à détailler cette nouvelle optique. L’année fiscale qui a pris fin le 31 mars 2013 a été principalement marquée par la sortie de trois titres occidentaux, notamment du catalogue Eidos : Sleeping Dogs, Hitman: Absolution et Tomb Raider. Malgré leur succès critique, ils n’ont apparemment pas atteint les objectifs de ventes de l’éditeur, et ce même si les deux derniers ont franchi la barre des 3 millions d’exemplaires vendus. La faute à une concurrence difficile, disent-ils, qui les a contraint à faire exploser les budgets publicitaires. Néanmoins, Matsuda admet volontiers que ces titres ont au moins atteint des objectifs : revigorer des séries existantes et en créer de nouvelles. Reste à savoir maintenant s’ils comptent en faire quelque chose de concret…
Car Yôsuke Matsuda a exprimé son souhait de revoir les développements de grande ampleur et de longue durée, afin de les rendre moins rigides et risqués, en termes financiers notamment. Mais selon lui, il s’agit aussi d’associer les joueurs à la création des jeux, afin de ne plus les laisser dans le noir des années durant (Versus, hmm ?). Citant les exemples de Kickstarter et Steam Greenlight, Matsuda a confirmé que Square Enix explore actuellement des solutions comparables. Dans l’idéal, ce sera un moyen de s’assurer que le produit corresponde davantage aux attentes des joueurs… Seulement, il me semble douteux de penser que demander leur avis aux joueurs engendre forcément un titre plus intéressant. Il sera sans doute conforme aux attentes du public actuel, mais qui peut nous promettre que des jeux tels que Final Fantasy continueront à innover ?
Je vois trop souvent des fans réclamer un retour à telle ou telle relique d’une époque révolue. Ce sera peut-être rassurant un temps, mais ce n’est pas un appel à la créativité. C’est exactement le même problème que celui des fameux « focus tests ». Car, comme le disait Mark Cerny, « les focus testeurs ne vous donneront pas l’avenir ».
Le deuxième point sur lequel Yôsuke Matsuda a insisté est à la fois le plus réaliste et le plus attristant. Constatant la place de plus en plus énorme occupée par les appareils tactiles tels que les smartphones et les tablettes, il a choisi de renforcer la présence de Square Enix sur ces supports. Il y a déjà de nombreux titres tels que des portages ou des jeux sociaux, mais Matsuda a décidé de lancer le développement de jeux de qualité comparable à ceux présents sur les consoles. Autrement dit, dans les années à venir, nos iPhone, iPad ou téléphones Android verront des titres ambitieux, davantage orientés sur l’histoire et à jouer en solo. En soi, il s’agit d’un effort louable pour tirer vers l’avant les productions sur ces nouveaux supports. Des titres tels que Chaos Rings ou même les portages de FFIII et IV ont déjà démontré la qualité technique pouvant être mise en œuvre. Pourtant, vous êtes sans doute nombreux à rechigner à l’idée de jouer sur un support tactile, notamment dans le cas de jeux de rôle qui durent de nombreuses heures.
L’une des choses qui m’étonne le plus, c’est à quel point Square Enix et les autres éditeurs dissocient totalement les supports tactiles et les consoles portables, alors que les jeux créés pour les uns pourraient certainement être portés sur les autres sans trop de difficultés techniques. En tant qu’appareils tactiles eux-mêmes, la PlayStation Vita ou la 3DS seraient des plateformes de choix pour les jeux ambitieux que nous promet Matsuda. Comme il me paraît inconcevable que l’éditeur n’y ait jamais pensé, on peut se demander si le blocage ne vient pas de Sony ou Nintendo, qui auraient des règles plus strictes et des demandes plus pressantes par rapport à iTunes ou Google Play. Si tel est le cas, c’est bien vers les constructeurs qu’il faudrait diriger nos lamentations.
Le troisième point de la nouvelle direction voulue par Matsuda est celui de la régionalité. Là où Square Enix pensait auparavant que tous leurs jeux pouvaient marcher partout dans le monde, le nouveau président semble avoir tiré un trait sur cette idée. Cela a d’ailleurs entraîné l’annulation ou la réévaluation de plusieurs jeux en développement l’année dernière. Cela m’inquiète beaucoup, car nous ignorons encore à quel point Square Enix interdira au public occidental des jeux sortis au Japon : difficile de ne pas penser à Bravely Default, qui n’aurait sans doute jamais vu le jour chez nous si Nintendo n’avait pas pris les choses en main. Un peu plus, et nous revivrons le cauchemar d’il y a une quinzaine d’années, quand nous devions prier de toutes nos forces pour que chaque nouveau titre annoncé au Japon arrive ne serait-ce qu’en Amérique.
Néanmoins, Yôsuke Matsuda se veut rassurant concernant l’engagement de Square Enix sur le plan technologique. Le catalogue de l’éditeur contiendra toujours des jeux majeurs qui seront la démonstration de leurs prouesses sur les consoles de nouvelle génération. Le nouveau président n’hésite d’ailleurs pas à nous donner rendez-vous à l’E3. Rendez-vous est pris dans quelques jours pour avoir cet aperçu de l’avenir. Si cette optique encourageante reste le moteur de Final Fantasy, j’en serais ravi. Le problème, c’est que toutes les franchises de Square Enix ne pourront pas bénéficier de ce traitement, de l’aveu de Matsuda lui-même. Ainsi, on peut déjà imaginer que certaines d’entre elles prendront une forme plus rentable pour l’éditeur : des modèles en ligne, qu’il s’agisse de jeux sociaux ou de MMORPG. Et si ce troisième point rejoint le deuxième, préparez-vous à voir migrer certaines franchises console sur les supports tactiles. Les temps ont changé…
Il y a du bon et du moins bon dans l’avenir de Square Enix tel que son nouveau président nous le dépeint. S’il est encourageant de savoir que l’éditeur ne renoncera pas à créer des jeux à la pointe de la technologie, il est regrettable de constater que cet effort sera en grande partie tourné vers les appareils tactiles. Je n’ai rien contre les jeux sur téléphones ou tablettes, et cette envie de créer des jeux plus aboutis est tout à l’honneur de Square Enix. Mais en tant que joueur sur console depuis toujours, je demande encore à voir si une expérience de jeu aussi profonde peut effectivement être reproduite avec un grand confort en employant des contrôles tactiles exclusivement.
En considérant les difficultés éprouvées par Square Enix ces dernières années sur les consoles HD (des retards abusifs, un manque de sorties par rapport aux générations précédentes), une nouvelle direction reste dans tous les cas bonne à prendre. Sauf, bien sûr, pour les employés qui ont été victimes de la restructuration ou qui le seront prochainement. En conclusion, une pensée pour eux.