Samedi 11 mai, je me rendais à Wuppertal, en Allemagne, pour assister à la grande première du tout nouveau concert symphonique inspiré par les musiques de Final Fantasy, au nom sans équivoque : Final Symphony. Dans la droite lignée des merveilleux Symphonic Fantasies et Odysseys qui ont marqué Cologne les années précédentes, ce nouvel événement a brouillé plus encore les limites entre les compositions de la série et les codes de la musique classique. Il est loin, ce Distant Worlds aux arrangements courts et flatteurs. Final Symphony, lui, tord nos souvenirs pour en révéler une vision plus complexe.
Final Symphony avait tout de l’événement à ne pas rater. Dans une salle de concert magnifique à l’acoustique impeccable, le Sinfonieorchester Wuppertal dirigé par Eckehard Stier s’est essayé pour la toute première fois à l’interprétation de musique de jeu vidéo, mais toutes les oreilles pouvaient y trouver leur plaisir : les arrangements sophistiqués et créatifs n’avaient plus besoin de leurs jeux respectifs pour exprimer une immense variété d’émotions, auxquelles n’importe qui serait sensible. Chaque morceau racontait une histoire à sa manière, puisant dans les mélodies de Nobuo Uematsu et Masashi Hamauzu pour constituer des œuvres ambitieuses.
Uematsu et Hamauzu, d’ailleurs, qui étaient présents tous les deux, acclamés avec la même vigueur par le public. Le premier, on le sait, n’a plus rien à prouver dans le monde de la musique de jeu vidéo. Mais voir Hamauzu ainsi salué, associé plus encore à l’héritage musical de Final Fantasy, ne pouvait que me ravir. Passons sans plus attendre à la vraie star de la soirée, la musique.
Roger Wanamo, l’un des deux orchestrateurs du concert, a réuni ses souvenirs de Final Fantasy VI pour écrire un poème symphonique intitulé « Born with the Gift of Magic ». Il raconte l’histoire de Terra, née précisément avec le don de la magie, et de son combat contre le terrible Kefka. On navigue ainsi entre le destin tragique de la jeune héroïne, la magie du monde chimérique dont elle provient et la folie destructrice du bouffon de l’empire. Dans sa grande habitude, Wanamo s’amuse à superposer les mélodies, à en lancer une pour la remplacer par une autre en plein vol, toujours avec un étonnant naturel. On notera tout particulièrement les interventions récurrentes des thèmes de Terra et Kefka sous toutes leurs formes, ainsi que la douceur féerique de « Esper World »… et le final de « Dancing Mad » dans une robe tragique impressionnante. Le ton de Final Symphony était définitivement donné : beaucoup de surprises, une véritable redécouverte d’un matériau que nous connaissons pourtant par cœur.
Le concerto pour piano inspiré de Final Fantasy X, lui, était l’occasion pour Masashi Hamauzu de revenir sur ses compositions d’il y a douze ans. Et il était difficile de ne pas reconnaître son style frais et élancé dans les trois mouvements, fidèles à la forme classique du concerto. « Zanarkand » reprend avec grand entrain la mélodie éternelle d’Uematsu, mais ses moments les plus cristallins semblent développer de nouveaux thèmes. Ce délicieux parfum de nouveauté nous permet d’être d’autant plus soulevé par la joie quand une mélodie aussi inoubliable que celle de « Besaid » surgit à son tour. « Inori » (prière), elle, unit la douceur rêveuse du thème des priants à l’énergie espiègle de « Thunder Plains » sous les doigts du jeune pianiste Benyamin Nuss. « Kessen » (combat final), enfin, laisse place à l’action avec la mémorable « Assault » et, surtout, le thème du dernier combat. Celui-ci était fidèle à la composition d’origine, comme si Hamauzu voyait déjà en elle la perfection. Force est de constater qu’il a raison. Un délice, tout simplement.
Le gros du concert était la symphonie en trois mouvements de Final Fantasy VII, œuvre mémorable de Jonne Valtonen. Tant a déjà été fait autour de cet épisode, mais il a choisi de revenir aux bases et d’exprimer dans chacun des mouvements les thématiques fortes du jeu : la folie de Sephiroth dans le premier, le triangle amoureux formé par Cloud, Aerith et Tifa dans le deuxième, et la confrontation finale entre Cloud et Sephiroth dans le troisième. Toute la saveur de l’orchestration repose sur l’élaboration ou la désagrégation des mélodies, dans le but de raconter une version propre de l’histoire de FFVII. Sans les images, on se laisse simplement emporter par les nombreuses émotions qui traversent l’orchestre : inquiétude, fascination, frayeur, nostalgie, paix, peine, entrain, vaillance, désespoir, délivrance, joie…
Pour que ces émotions soient les plus saisissantes, Valtonen n’hésite pas à courber les mélodies, dans le sens le plus positif comme dans le plus négatif. Le deuxième mouvement, tout particulièrement, nous transporte du bonheur à l’horreur : alors qu’on se trouve dans les premiers instants enlacés par la merveilleuse « Words Drowned by Fireworks », on avance peu à peu vers l’agonie lente et douloureuse du thème d’Aerith sous les coups répétés de celui de Sephiroth. Ailleurs, on entendra un entremêlement des mélodies du même Sephiroth et de Jenova (sans oublier le terrifiant cri de la planète lui-même) annoncer une reprise délicieusement nouvelle de « One-Winged Angel », en fin de premier mouvement. Enfin, dans le troisième, les thèmes héroïques de Seto et Cid préparent la bataille finale illustrée par « Jenova Absolute »… Mais le moment le plus sublime restera le jaillissement final de la rivière de la vie, instant limpide de pure magie.
Certes, Final Symphony est un concert plus exigeant que d’autres événements plus prévisibles, mais quiconque laisse le temps aux thèmes et aux idées de se former est généreusement récompensé. Et ce, même si la première sensation au sortir de la salle est une immense frustration : celle de ne pas pouvoir tout réécouter immédiatement après, pour savourer tous les détails ou retrouver les moments les plus enchanteurs. C’est sans doute là la forme absolue de l’arrangement de jeu vidéo, celui qui est capable de nous proposer une œuvre de musique contemporaine universelle.
Si vous souhaitez découvrir les précédents concerts, vous pouvez acheter les enregistrements en CD sur Internet : vous trouverez Symphonic Fantasies sur cette page et Symphonic Odysseys sur celle-ci (ils sont aussi proposés en bundle). Les deux sont de qualité exceptionnelle.