Mai 2012 marque le dixième anniversaire du lancement officiel de Final Fantasy XI au Japon. Après dix ans, il est toujours aussi actif et ses développeurs prévoient encore de nombreux mois de contenu inédit. Naturellement, cet épisode est à part au sein de la série, car il a osé se plonger totalement dans le jeu en ligne tout en conservant un numéro. Comme si l’avoir simplement nommé Final Fantasy Online aurait changé quelque chose… Emballé par l’idée de voir la série explorer comme toujours un terrain nouveau, j’ai joué à FFXI entre le moment de sa sortie américaine sur PC et l’arrivée de l’extension Treasures of Aht Urhgan. Ce fut mon tout premier MMORPG et c’est bien sûr le nom Final Fantasy qui m’a attiré vers lui. Plusieurs années après avoir arrêté l’expérience, je garde toujours d’excellents souvenirs du temps passé à Vana’diel et je suis même un peu nostalgique de son ambiance.
Une ambiance médiévale qui revient aux sources de la série tout en s’offrant un contexte plus dramatique, dans un monde déjà lourdement frappé par les forces du mal et qui s’apprête à en subir un nouvel assaut. Pour ressentir toute l’intensité de ce conflit, il suffit d’admirer la cinématique d’ouverture conçue par le studio Visual Works en 2002. Si la technique a un peu vieilli, la mise en scène est toujours aussi poignante. Avec, qui plus est, l’une des œuvres les plus grandioses de Nobuo Uematsu en guise d’accompagnement.
Le petit article qui va suivre vise à souhaiter un joyeux anniversaire à FFXI. Il n’a absolument rien d’encyclopédique et revient juste sur ce jeu auquel vous n’avez sans doute pas été nombreux à jouer j’imagine, mais qui n’a rien du vilain petit canard.
Beaucoup de malentendus ?
Bien sûr, Final Fantasy XI n’a jamais connu la popularité des épisodes classiques : s’il est vrai que l’aspect en ligne n’est pas étranger à cette « discrétion », surtout à une époque où les jeux en ligne n’étaient pas si répandus, il est évident que la présence d’un abonnement mensuel a dissuadé plus d’un fan. Mais il ne faut pas pour autant nier l’existence de cet épisode dans la série et encore moins croire qu’il s’agit d’un échec. D’ailleurs, FFXI est l’idée de Hironobu Sakaguchi lui-même : impressionné par l’émergence de MMORPG américains tels qu’Ultima Online et Everquest, il a voulu prendre les devants de ce genre au Japon. Dans ce grand mystère qu’est la définition de Final Fantasy, la volonté de son créateur d’explorer les terres du jeu en ligne est sans doute un indice crucial…
Quant au succès à proprement parler, FFXI fut longtemps l’une des meilleures sources de profits de Square Enix. Avec 500.000 joueurs actifs aux meilleurs moments, on peut en effet imaginer que la machine tournait plutôt bien.
Illustrations conceptuelles des développeurs du jeu
Le développement de FFXI a été confié en 1999 au deuxième département de Square, dirigé par le producteur Hiromichi Tanaka. Cette équipe avait précédemment travaillé sur Xenogears et Chrono Cross, mais c’est Kôichi Ishii, la tête pensante de la série Mana, qui a été choisi pour occuper le poste de réalisateur. Tanaka et Ishii n’avaient pas travaillé sur sur un Final Fantasy depuis le troisième épisode, sorti sur NES dix ans plus tôt. D’où un retour à certaines valeurs de ce temps-là : univers médiéval, cristaux, système de jobs… Mais des valeurs beaucoup plus approfondies, complexité du MMO oblige. Les possibilités du genre offraient à la série un mode d’expression nouveau, sur la durée.
Interviewé sur le site officiel de Nintendo au moment de la sortie du remake DS de Final Fantasy III, en 2006, Hiromichi Tanaka revenait sur cette similitude entre les deux épisodes :
« J’avais travaillé sur les trois premiers Final Fantasy avec mon ami Kôichi Ishii et nous avions créé un univers de magie et d’épées s’articulant autour des cristaux. Ishii et moi n’avons pas vraiment travaillé sur les épisodes qui ont suivi. Cela dit, quand nous avons recommencé à réfléchir à ce que ça pourrait être, le résultat fut FFXI. C’est pour cela que le monde a une apparence similaire à FFIII. »
Un terrain d’aventure
Ce que je retiendrai le plus de FFXI, c’est son univers, Vana’diel. Déjà immense à l’origine, il s’est enrichi au fil des extensions, voyant notamment l’ajout d’un tout nouveau continent dans Treasures of Aht Urhgan. Je n’ai jamais eu à la chance de partir l’explorer, ayant arrêté l’aventure au moment du lancement de cette extension (principalement pour des raisons matérielles). Je n’ai donc pu que baver sur les images dévoilées à l’époque. C’est tout l’avantage d’un jeu où le monde a une place cruciale : on peut quand même l’admirer à travers des images et des vidéos. Toujours nostalgique de mes voyages à Vana’diel, je suis donc heureux de pouvoir m’y replonger sans y jouer.
Par chance, certains joueurs ont la même affection que moi pour cet univers et ont choisi de lui rendre hommage sur YouTube… Rien de plus que les joies simples des fleurs qui remuent sous le vent, de la nature en fête lors des traversées en bateaux, du jour et de la nuit qui défilent.
La suite de ce petit voyage dans cette autre vidéo
Il n’y a rien de très exubérant dans l’univers de FFXI, mais il reste à la fois apaisant et accueillant malgré les nombreuses zones d’ombre de son histoire. Derrière ce qui aurait pu être un MMO médiéval classique façon Seigneur des Anneaux (la cinématique au début de cet article aurait bien du mal à nier ses influences) se cache un jeu diversifié, de la forêt clairsemée de Ronfaure aux falaises arides imposantes de Gustaberg, en passant par les paysages exotiques qui entourent Windurst et Kazham. Et les dimensions, MMO oblige, sont bien plus énormes que dans tout épisode précédent.
Avec le format persistant, Vana’diel semble être un monde qui se déroule à son propre rythme, même s’il n’est pas aussi vivant que ceux des MMO qui ont suivi (ne pas oublier que FFXI a dix ans !). Pourtant ce rythme particulier lui donne une atmosphère douce et paisible, la nature sauvage étant toujours au cœur de ses immenses décors. Les zones de départ ont ce petit quelque chose de reposant, que ce soit la fraîcheur forestière de Ronfaure ou la savane lumineuse de Sarutabaruta. C’est là que tous les joueurs découvrent ce monde, alors autant que l’accueil soit bon !
Mais il y a aussi les régions plus isolées, qu’elles soient déchiquetées comme le canyon de Tahrongi et sa végétation pittoresque, ou bucoliques comme le plateau de La Theine et ses couchers de soleil souvent magnifiques (s’il ne pleut pas, bien sûr). Et puis il y a ces lacs, étangs, rivières, cascades, plages, collines, prairies, marécages, forêts, jungles, déserts, crevasses, grottes, cols, glaciers… toute cette nature qui fait de Vana’diel le monde le plus complet de la série. Certaines ambiances sont particulièrement mémorables, à l’image de celles du sanctuaire de Zi’Tah, aux arbres impressionnants.
Avec sa disponibilité permanente, on peut savourer ce monde seul, tenter dès les premiers niveaux d’aller le plus loin possible en bravant tous les risques, mais apprécier ainsi le goût de l’aventure. Une fois le risque maîtrisé, les compétences renforcées et le cercle d’amis constitué, quel plaisir que de se réunir à Jeuno, sauter à dos de chocobo, partir sur la plaine désolée de Sauromugue, croiser les ruines d’un conflit passé et se lancer à l’assaut d’un donjon mystérieux… Je sais, ce serait oublier les longues et pénibles recherches de groupes. Mais voilà, quelques années après, on garde les meilleurs souvenirs.
Ce qui est assez épatant, quand on replonge dans FFXI dix ans après sa sortie, c’est de constater que le temps n’a pas été si cruel avec ses graphismes. Bien sûr, les textures sont souvent plates, les personnages anguleux, les villes pas franchement chaleureuses, mais il y a toutes ces petites touches finalement intemporelles, qui étaient inédites pour la série : des décors à perte de vue en 3D intégrale, des changements de météo fluides, les levers et couchers de soleil… Ah, il faut voir ces derniers depuis les aéronefs ! Une pause bien méritée pour le voyageur. La sobriété de la direction artistique a bien plus d’élégance que d’autres MMO plus récents et plus connus, et pourtant plus grossiers visuellement.
Un monde musical à lui tout seul
Fidèle à la tradition de la série, Final Fantasy XI a fait l’objet d’un soin particulier pour les musiques. Si la bande originale dans son intégralité (toutes extensions incluses) n’est pas aussi mémorable que celles des autres épisodes, elle a tout de même un charme certain, qui n’est pas étranger à l’ambiance du MMORPG. Naoshi Mizuta, le compositeur principal du projet, a volontairement choisi de se mettre en retrait : bien conscient que les joueurs de MMO risquent d’entendre longtemps les mêmes musiques, il a écrit de longues pistes de style acoustique, dans lesquelles les mélodies mettent plusieurs minutes à se déployer. Il peut même y avoir de petites surprises à la clé, comme un beau duo de flûtes qui s’élève tardivement à Yuhtunga, un passage chaleureux au bout de 3 minutes dans le thème de Tu’Lia, la mélodie de Windurst qui s’invite sobrement après 4 minutes dans la Tour Eden…
Bien sûr, ses collègues Kumi Tanioka et Nobuo Uematsu ont accompagné cette optique quand ils ont offert leur participation au jeu de base : ainsi sont nés les thèmes de Gustaberg et Ronfaure, le premier chargé d’aventure, le second résumant à lui seul l’esprit médiéval paisible de FFXI. Leur saveur acoustique est issue du travail d’arrangements réalisé par Hidenori Iwasaki. Parfois, Mizuta a même eu recours à de vrais instruments, comme le violon irlandais du thème de Selbina.
Disponibles sur iTunes : Music from the Other of Vana’diel et Sanctuary
Assez étrangement, quand le moment est venu de créer un album d’arrangements du jeu, c’est vers une electro-pop un peu déplacée que Mizuta s’est tourné. Le premier album des Star Onions, un groupe formé par des musiciens de Square Enix, semble ainsi peu approprié à l’univers de Vana’diel, malgré des réussites comme « Rolanberry Fields » revue au saxophone. Non, c’est le deuxième album des Star Onions, Sanctuary, qui incarne le mieux les possibilités acoustiques des musiques du jeu. Enregistré en studio, il reprend sous une robe chaleureuse et délicate les différentes ambiances de ce bel univers : les environnements naturels paisibles, les endroits ténébreux, les combats héroïques, les marches entraînantes… Un voyage à lui tout seul, que vous ayez joué à FFXI ou non.
Pour découvrir d’un peu plus près les Star Onions, n’hésitez pas à lire le dossier spécial que je leur avais consacré lors de la sortie de Sanctuary, en mai 2009.
Y a-t-il un « héritage FFXI » ?
Final Fantasy XI a certainement eu une influence sur la suite de la série. C’est d’ailleurs son successeur direct, le XII, qui a le plus puisé dans cette nouvelle orientation. Fasciné par le potentiel d’un univers de MMORPG, Yasumi Matsuno a voulu que son épisode procure un même sentiment d’immensité et de liberté, mais sans l’élément en ligne. Derrière un scénario moins présent (mais superbement écrit et mis en scène), FFXII proposait ainsi un monde très vaste et un nombre impressionnant de quêtes secondaires. Du côté du système de jeu, l’absence de transition entre l’exploration et les combats est l’influence la plus notable. Un choix finalement naturel : cela crée une meilleure cohésion lors des nombreux voyages à travers Ivalice.
A partir de FFIX, mais surtout X, les développeurs de Final Fantasy ont rendu les univers de leurs jeux de plus en plus massifs et importants. FFXI et XII ont ainsi parfaitement accompagné cette optique, Vana’diel et Ivalice étant certainement les mondes les plus fouillés de toute la série. Une évolution dont personnellement je me réjouis, d’autant plus qu’elle a été développée dans le XIII sous une autre forme : la mythologie sous-jacente et le raffinement extrême de la direction artistique. Toujours au service de l’univers, pour que les visuels ne soient jamais des coquilles vides.
Tout cela nous mène bien sûr à Final Fantasy XIV, le premier échec manifeste de la série. Son existence est bien la preuve que FFXI fut un filon juteux pour Square Enix, mais sa concrétisation fut trop flottante, trop précipitée pour qu’il semble aussi abouti. C’est bien en repensant à FFXI qu’on comprend ce qu’il manque au XIV : moins expressif, beaucoup moins diversifié, il se déroule dans un monde peu enivrant et vite exploré. Malgré ses idées nouvelles, il n’a jamais semblé aussi complet et digne d’intérêt. Il ne reste plus désormais qu’à attendre l’arrivée de la version 2.0 pour voir si, repris en main par Naoki Yoshida, il saura devenir un titre majeur dans le marché très compétitif des MMORPG. Mais à son niveau, occuper la même place que le XI serait déjà une jolie victoire : une petite machine qui tourne, discrète dans son domaine, mais sachant conserver son public.