GDC 2014 : la renaissance de Final Fantasy XIV

Le 19 mars dernier, lors de la Game Developers Conference de San Francisco, le producteur et réalisateur Naoki Yoshida est revenu sur l’échec de la première version de Final Fantasy XIV et sur les étapes qui ont été nécessaires pour renouer avec le succès. Cette présentation, intitulée « Behind the Realm Reborn », a permis de mieux comprendre comment Yoshida a remis le MMORPG sur les rails en aussi peu de temps, pour finalement proposer le désormais excellent Final Fantasy XIV: A Realm Reborn.

Il faut dire que le jeu partait de loin : sorti à l’origine le 30 septembre 2010 sur PC, il avait été fraîchement accueilli par les joueurs et les médias (d’où le score de 48 sur l’agrégateur de tests Metacritic). Parmi les problèmes au moment du lancement, on trouvait des serveurs instables (plus de 400 pannes quotidiennes), le manque de contenu, le système de combat bancal, les cartes labyrinthiques basées sur un système d’instances, une interface désagréable et un manque d’histoire pour un jeu pourtant basé sur cela. C’est donc une lourde charge qui attendait Naoki Yoshida lorsqu’il a été nommé à la tête du développement en décembre 2010, en remplacement du producteur Hiromichi Tanaka et du réalisateur Nobuaki Kômoto.

Les raisons de l’échec de la première version

Le premier MMORPG de Square, Final Fantasy XI (2002), avait été un succès pour l’éditeur, et c’est la raison pour laquelle le développement d’un nouveau Final Fantasy en ligne a été décidé à l’origine (dès 2005). Mais selon Naoki Yoshida, Square Enix a été incapable de se rendre compte qu’en quelques années, le monde du MMORPG avait radicalement changé. Non seulement leurs approches de gameplay avait connu de nombreuses mutations, mais les demandes des joueurs elles-mêmes avaient changé. Yoshida a néanmoins tenu à s’arrêter sur un élément symptomatique de sa société à l’époque : une obsession presque malsaine pour la qualité des graphismes. Il a ainsi présenté ce qu’il désignait comme le « plus beau pot de fleur du royaume », un modeste objet décoratif posé à l’entrée d’un bâtiment. Aussi beau était-il, il se trouve que son affichage nécessitait en réalité 1000 polygones et 150 lignes de code de shader, soit autant qu’un personnage jouable.


Final Fantasy XIV 1.0 lors de ses tests bêta

A cause de ce déséquilibre dans les priorités d’affichage, l’équipe de la première version de FFXIV a dû faire des compromis qui allaient à l’encontre des fondamentaux des MMORPG. Ils avaient par exemple été obligés de limiter à 20 le nombre de personnages jouables affichés à l’écran simultanément, ce qui selon Yoshida ne donnait jamais au joueur la satisfaction de voir autour de lui des dizaines de personnes vaquer à leurs occupations en même temps. La culture des « graphismes avant tout » cultivée par Square Enix à ce moment-là n’était plus compatible avec le besoin de proposer un MMORPG au contenu en apparence luxuriant, à l’image de World of Warcraft et des concurrents qui l’ont suivi.
A l’époque de la PS2, Square Enix se basait sur des développeurs clé, des « maîtres » (sic), pour confectionner leurs jeux. Mais avec l’évolution des PC et des consoles, ces maîtres n’étaient plus assez nombreux pour incorporer les nouvelles technologies. Résultat : un manque de ressources et d’évolutions technologiques, et des développements de plus en plus longs.

Naoki Yoshida a noté que cela a entraîné un cercle vicieux, capable d’expliquer le désintérêt des développeurs japonais pour le MMORPG, et donc des joueurs. Comme il faut des équipes de grande taille, réparties en plusieurs départements, et que les contenus ne sont pas créés assez rapidement, les méthodes de développement ne sont pas adaptées aux MMORPG et les éditeurs préfèrent éviter ce risque.
Pour résumer la situation, Yoshida a présenté les trois moyens les plus évidents de faire fausse route. Le premier est de trop se concentrer sur la qualité graphique, comme expliqué auparavant. Le deuxième est de ne pas avoir une connaissance suffisante du MMORPG parmi les développeurs. Le troisième est l’idée que chaque problème initial pourra de toute façon être corrigé dans des mises à jours futures. Ce dernier point caractérisait également la première version de FFXIV : malgré les carences du jeu au moment de sa sortie, ils étaient convaincus qu’ils trouveraient plus tard une solution. Pour Yoshida, il s’agissait d’un problème fondamental de conception. C’est la raison pour laquelle, au moment où il a repris les rênes du projet, il a compris que le seul moyen de sauver le jeu était de tout reprendre de zéro.

La renaissance de Final Fantasy XIV

Mais en plus de lancer le développement d’une toute nouvelle version, Naoki Yoshida a choisi de continuer à mettre à jour le jeu original. Cette décision a été mise en doute par certaines personnes chez Square Enix, mais pour lui, c’était le seul moyen de regagner la confiance des joueurs déjà présents, en attendant la refonte. De plus, le jeu allait devenir une sorte de laboratoire pour certaines des nouveautés apportées par la version 2.0, qui allait plus tard devenir A Realm Reborn. A ce moment-là, une véritable course contre la montre s’est déclenchée, et ce sur plusieurs plans : les joueurs risquaient de perdre leur intérêt pour FFXIV, la PlayStation 3 approchait peu à peu de sa fin de vie (Yoshida s’était engagé à sortir le jeu sur la console, comme promis à Sony), et les développeurs devaient travailler sur deux jeux simultanément. Ce dernier plan était d’autant plus périlleux que l’équipe était obligée de travailler selon les limites de l’architecture du FFXIV d’origine.


Combat contre Garuda dans FFXIV, mise à jour 1.22

Concernant l’importance de ne pas perdre l’intérêt des joueurs, Naoki Yoshida a décidé d’aller à l’encontre des politiques habituelles de Square Enix. L’éditeur considérait alors qu’il était risqué de trop montrer aux joueurs le fonctionnement du développement d’un jeu. Yoshida a ainsi annoncé la version 2.0 moins d’un an après son arrivée aux commandes du projet. Il s’est ensuite engagé à communiquer régulièrement avec les joueurs, tout particulièrement lors des fameuses lettres « live », de longues retransmissions en direct pendant lesquelles le producteur présentait les dernières avancées du projet et répondait aux nombreuses questions des joueurs. Il procédait à des mises à jour similaires en interne, pour encourager la motivation de ses équipes. Ils lisaient d’ailleurs activement les forums officiels, afin de connaître les réactions des fans à chaque nouvelle annonce.

Comme il était hors de question de perdre du temps, Yoshida a voulu que les concepts du jeu aillent à l’essentiel. Pour cela, il a travaillé avec les têtes pensantes de son équipe pour que les systèmes de base soient établis en priorité. Ce processus a duré environ deux mois et les programmeurs avaient interdiction d’écrire la moindre ligne de code tant que la structure du jeu n’était pas finalisée. Cela permettait d’ailleurs de les libérer pour qu’ils continuent à mettre à jour le jeu original. Yoshida voyait également là l’occasion d’éduquer les membres les moins expérimentés de l’équipe : il les a notamment forcés à jouer à la version 1.0 le plus possible, pour qu’ils comprennent la nature des décisions prises pour l’améliorer. Pendant ce temps, Yoshida faisait travailler sur A Realm Reborn un nombre réduit de développeurs ayant une bonne connaissance des MMORPG. Cela lui permettait de réduire le risque lors de la conception des environnements des serveurs et de la partie graphique, soit deux éléments essentiels pour un MMORPG.


Première image conceptuelle de FFXIV: A Realm Reborn

En fin de compte, Yoshida a expliqué avoir pris lui-même 400 décisions fondamentales (ce qui est très peu pour un jeu de cette ampleur), réduisant ainsi le temps perdu à faire valider chaque élément. Les détails ont été laissés à l’appréciation des développeurs eux-mêmes, et c’est également pour cette raison que les postes importants étaient confiés à des connaisseurs de MMORPG. La priorité était de faire en sorte que FFXIV s’accorde aux standards habituels du MMORPG avant de chercher à innover. L’équipe, de toute façon, n’avait pas le temps pour cela, alors elle a concentré ses efforts sur ces éléments déjà éprouvés. Le problème, souligne Yoshida, c’est que cette liste de prérequis est écrasante en soi. Il en a donné un aperçu, voyez plutôt :

Stabilité des serveurs de connexion. Stabilité des serveurs de jeu. Création de personnage très poussée. Variété d’équipements presque infinie. Interface intuitive mais riche en informations. Jeu équilibré. Système de combat stratégique. Système de classe et progression du personnage encourageants. Un système d’artisanat facile mais pas mécanique. De nombreux donjons. Des zones publiques énormes. Un moteur capable de créer des graphismes excellents. Une histoire prenante. De très nombreuses séries de quêtes. Des quêtes publiques disponibles pour tous. Des tonnes de données d’objets. Des événements saisonniers mensuels. Un mode JcJ extensible mais bien équilibré. Un système de logement entièrement personnalisable. Des donjons de haut niveau. Un système de constitution d’équipe. Un système d’enchères intégré à l’économie du jeu. Des forums pour regrouper les réactions des joueurs. Des GM disponibles en permanence dans toutes les régions. Un système de paiement sécurisé. Et ainsi de suite.

L’avenir des MMORPG majeurs

En conclusion de sa présentation, Naoki Yoshida a tenu à exploiter son expérience pour donner des conseils aux autres développeurs de MMORPG. Cela pourrait sembler un peu prétentieux, puisqu’il s’agit du premier jeu dont il est producteur et réalisateur, mais il a insisté sur le fait que la refonte de Final Fantasy XIV est un exploit unique dans le monde du MMORPG. Là où un jeu de ce genre demande généralement jusqu’à cinq ans de développement, A Realm Reborn a été produit en deux ans et huit mois, sans oublier le fait que l’équipe devait continuer à assurer le service de la première version. De ce fait, s’il considère que comparer World of Warcraft et FFXIV n’est pas raisonnable car le premier est là depuis 9 ans et le second 8 mois seulement, Yoshida affirme ne plus craindre la comparaison.
Sur le sujet de la comparaison inévitable entre les free-to-play et les MMO à abonnement, il a insisté sur le fait que chaque modèle a ses avantages et ses inconvénients, mais il faut que le modèle choisi convienne au jeu, ainsi qu’aux besoins des clients et du marché.


FFXIV: A Realm Reborn dans sa version PlayStation 4

Naoki Yoshida a proposé une liste de questions que chaque développeur de MMORPG devrait se poser absolument. « Que font les autres jeux et que le nôtre ne fait pas ? Est-ce que nous avons assez de contenu ? Est-ce que notre interface utilisateur comporte des lacunes ? Avons-nous prévu assez de récompenses pour les joueurs ? Enfin, avons-nous un programme de mises à jour sur le long terme ? » Le facteur de réussite le plus essentiel, pour lui, est la facilité de mise à jour du jeu. Cette lacune est précisément l’une des raisons qui expliquait l’échec de la première version de FFXIV. Et pour se permettre d’innover, il faut d’abord que le jeu ait été bien conçu et planifié dès le départ.
Yoshida a d’ailleurs comparé la gestion d’un MMORPG à celle d’un pays, avec l’équipe de développement en guise de gouvernement et les joueurs en guise de citoyens. Si ces derniers n’approuvent pas la politique, ils changeront de pays. Pour que le pays ne tourne pas à la dictature, il faut que le gouvernement fasse preuve de clarté, de vision et d’écoute. Si les citoyens se plaignent, cela signifie qu’ils éprouvent encore de l’intérêt, alors il est important d’être attentif à leurs réactions. Les « dirigeants » eux-mêmes doivent montrer qu’ils vivent dans leur jeu autant que leurs « sujets », et que donc, ils partagent la même expérience.

En conclusion, Naoki Yoshida a résumé ce que cette expérience lui a appris en quatre points.

1. Il ne faut jamais oublier les fans, le jeu s’adresse à eux.
2. Il faut que le jeu soit amusant, sinon on s’y prend mal.
3. Il ne faut jamais abandonner et toujours chercher à impressionner.
4. Il ne faut jamais oublier ses racines, c’est ce que les fans attendent.

Selon lui, Square Enix a appris de nombreuses leçons suite à l’échec de Final Fantasy XIV et compte profiter de cette occasion pour réévaluer ses méthodes de développement. Espérons que cela encourage l’éditeur à se relancer dans des projets majeurs sur consoles et PC, au lieu de privilégier autant les jeux sur plateformes mobiles.

Sources : Polygon, Dengeki Online, GAME Watch